0111.1. Les élèves appréciés sous l’angle de leur maturité

Le manque de maturité revient fréquemment dans le discours des enseignants pour justifier l’absence de réussite dans le « lire-écrire ». Le plus souvent, cette donnée s’appuie sur deux formes de discours : soit le mois de naissance, situé en fin d’année, explique les difficultés d’apprentissage, soit le comportement, qualifié souvent de « bébé », est directement associé à cette « immaturité ». Ce concept de maturité soulève, à lui seul, beaucoup d’ambiguïtés dans la mesure où il semble difficile de le définir rigoureusement, de le quantifier et, par conséquent, d’aboutir à une justification solide. Par ailleurs, la maturité, évoquant une notion psychologique liée à la personnalité de l’enfant, n’appartient pas directement au champ professionnel de l’enseignant. L’argument du manque de maturité déclenche inévitablement deux questions de base: le manque de maturité se situe par rapport à quoi? Par rapport à qui? En réalité pour le maître, la maturité ne renvoie pas à de véritables éléments de rationalité. Il concerne, avant tout, une impression générale centrée sur les attitudes de l’enfant: sa participation n’apparaît pas suffisante dans les activités collectives, sa prise de parole s’avère très rare, son caractère témoigne d’une grande timidité et ses attitudes révèlent une envie de jouer plutôt que de travailler. Ces arguments arrivent en complément de plusieurs évaluations faibles et situent entièrement les difficultés sur la problématique de l’enfant. Ce faisant, ils marquent nettement la responsabilité de l’apprenant dans son propre échec, tout en éliminant d’autres d’explications, peut-être plus compromettantes pour l’enseignant ou l’école.

Si critiquable que soit cette centration totale de l’échec sur l’élève, l’élément de la maturité cache, en fait, une difficulté réelle à analyser et à comprendre les faiblesses d’apprentissage. A juste raison, qu’il s’agisse de la réussite ou de l’échec, les étapes qui conduisent à la découverte de la langue exigent une position d’observateur que l’enseignant, toujours en charge de sa classe, occupe rarement. En outre, même dans la situation privilégiée de témoin direct, les constats de dysfonctionnement n’apparaissent pas en pleine lumière. Ils se présentent globalement, à l’image d’une mosaïque, complexe dans son apparence et inexploitable directement. Dans ces conditions, seuls les éléments visibles du comportement de l’enfant illustrent l’analyse imparfaite de l’enseignant car ceux-ci ne se référent à aucune donnée d’apprentissage.

Pour en revenir aux points soulevés par les enseignants sur le manque de maturité, l’argument du mois de naissance en fin d’année apparaît comme particulièrement injuste. Il marque, de la part de l’école, une incapacité à gérer les différences entre les élèves ; il témoigne d’une grande dépendance à l’égard de la norme. Derrière de tel propos, se cache un idéal d’élève qui cumulerait toutes les qualités comme si le métier d’enseignant se limitait à accompagner les talents. Une seconde injustice se manifeste sur ce même argument du mois de naissance. Il se présente sous l’apparence d’un fait incontestable qui ne saurait être remis en cause. En réalité, le lien entre le mois de naissance et la présence des difficultés n’est jamais démontré. Nous sommes en présence d’une excuse que le monde enseignant agite comme pour évincer son incapacité à interroger une donnée scolaire. La dernière injustice concerne l’absence d’opérationnalité d’un tel argument. Une fois qu’il est énoncé, tout semble s’arrêter comme si rien n’était possible en sa présence. Cette connotation fataliste est particulièrement choquante car elle se présente comme un condamnation presque définitive de l’élève.

Appelé également abusivement immaturité, il convient de convoquer certaines « perturbations » affectives que vivent les élèves dans leur vie d’enfant. La naissance d’un frère ou d’une soeur constitue pour eux un moment d’interrogation nécessaire sur leur place dans la famille. Cet événement provoque parfois un passage à vide, souvent provisoire, dans le parcours scolaire de l’enfant par manque d’attention ou de concentration. Il est légitime que son esprit ne soit pas exclusivement tourné sur les activités d’apprentissage. Toujours, dans ce même registre, la situation des parents qui se séparent entraîne des perturbations dans la scolarité de l’enfant. Les résultats pâtissent d’une atmosphère de tension ou du changement attendu de domicile ; la sérénité est absente. Le monde enseignant attribue trop à cet événement la cause des faiblesses observées en classe.

Les élèves qui mobilisent notre recherche ne développent pas un comportement jugé « immature ». Ils n’appartiennent donc pas à cette catégorie d’enfants qualifiée, avec beaucoup d’approximation, de trop jeune. En effet, le comportement des élèves de notre population manifeste, au contraire, une sorte de neutralité: ces élèves ne se font pas remarquer. Ils paraissent participer, de manière satisfaisante, aux activités collectives. Sans nécessairement démontrer une position de leaders dans le groupe, ils prennent la parole ou font preuve d’une certaine initiative. En rien, ces enfants, confrontés malgré tout à des obstacles dans l’accès au « lire-écrire », ne démontrent une quelconque difficulté de nature comportementale. Ils n’éveillent ni le soupçon, ni l’inquiétude chez leur enseignant, tout particulièrement en début d’année scolaire.