0111.2. Le langage au coeur des difficultés d’apprentissage

Parfois associé aux insuffisances relevées sur la maturité, le langage mobilise également de nombreux commentaires. Cette fois, à la différence du point précédent, l’analyse du problème se situe sur un espace proche de la langue. Ce qui revient le plus fréquemment concerne deux aspects du langage: d’une part le vocabulaire et, d’autre part, la prise de parole. Ce dernier élément sanctionne le cas singulier des élèves « muets » en classe. Ils ne sont pas rares en effet ceux qui ne lèvent jamais la main pour s’exprimer ou ceux qu’une question du maître, en leur direction, gêne terriblement. La situation de groupe ou le simple environnement collectif provoquent, chez eux, un mutisme profond et d’autant plus troublant qu’il disparaît lors des temps de récréation. Ces quelques minutes en dehors de la classe paraissent offrir un tel sentiment de liberté que ces mêmes enfants, jusqu’alors effacés et insaisissables, se comportent de manière étonnamment communicative. Nettement, ils ne présentent aucun trouble de la parole et pourtant, la lecture à haute voix s’apparente à un exercice très périlleux, de très forte émotion, proche d’une certaine souffrance. Les faiblesses de langage renvoient alors, non pas à une incompétence d’origine linguistique, mais à une forme d’incapacité personnelle à se mettre en avant face à un groupe.

Le vocabulaire constitue un second volet des difficultés de langage. Plus classiquement, cette constatation marque un faible bagage lexical. On parle alors de pauvreté du vocabulaire. Parfois, mais de plus en plus rarement, il s’agit d’une utilisation importante du patois et, par conséquence, d’une simple ignorance de la langue française. Nous pourrions classer dans cette catégorie les enfants de culture étrangère pour lesquels il existe une cohabitation entre deux langues, maternelle et sociale. Nommer différemment des choses qui se ressemblent, sans qu’elles soient identiques, n’entre pas dans les habitudes. Certains élèves se contentent alors d’une approximation sémantique pour exprimer un point de vue ou, plus simplement, pour décrire un objet. De manière générale, les idées sont simples comme si la complexité d’une forme verbale n’était pas accessible. Les phrases sont courtes et isolées et la pensée semble verrouillée par ce manque de richesse lexicale.

Les deux aspects du langage que sont le vocabulaire et la prise de parole ne définissent pas notre population de recherche. Tout au contraire, les élèves dont nous nous occupons montrent une surprenante capacité à verbaliser. Certes, ils connaissent des difficultés dans l’apprentissage de la langue en première année de primaire mais, paradoxalement, leur langage dégage une réelle aisance de parole. Les idées sont clairement exposées, l’ouverture et la curiosité d’esprit se manifestent dans leur comportement, la richesse de leur propos et l’utilisation de mots, rarement entendus dans la bouche des enfants, cautionnent un profil d’enfants, sans, à priori, de lacunes futures. Ce constat s’avère encore plus exact en grande section et en début de cours préparatoire. Au-delà, en cours d’année de CP mais surtout en CE.1 et ultérieurement, les difficultés de langue perturbent parfois cette disponibilité langagière. Alors que ces enfants développaient une participation active aux activités collectives, le sentiment de ne pas réussir s’accompagne d’une plus grande réserve à l’égard de toute activité. Lors des temps de concertation en grande section, consacrés à la prévention des difficultés, les individus de notre population ne sont pas mentionnés sauf pour signaler un certain manque de travail associé à un bavardage fréquent, parfois incessant. Par ailleurs, cette description, somme toute négative, s’accompagne en contrepartie d’une confiance absolue de la part des enseignants en leur réussite prochaine. Au risque de tomber dans la caricature, ils ne sont pas loin d’occuper la place de ces petits génies qui ne veulent pas travailler mais qui, par un oeil malicieux et complice, entretiennent une sorte d’intelligence aux yeux de l’adulte.

Notre population d’étude, épinglée pour des difficultés de langue en primaire, s’identifie, rappelons-le, par une aisance de langage et par une maturité sans faille en classes maternelles. Ce tableau initial a de quoi surprendre quelque peu l’observateur car il est attendu habituellement, pour des élèves en difficulté, un inventaire précis et exhaustif des défaillances en présence. Du moins, pourrait-on attendre une liste des prémices de l’échec ou du moins des inquiétudes émises par les enseignants sur le futur scolaire de ces élèves. L’ensemble des lacunes, mis en évidence dès le début du cycle 2, permet généralement d’expliquer le parcours chaotique de l’élève. « ‘On se doutait bien que cela n’allait pas fonctionner, on n’est pas vraiment surpris’ » remarque-t-on alors. Il est vrai que beaucoup d’enfants, très faibles en GS, ne réussissent pas le CP y compris lorsque des mesures d’aide sont entreprises. Or, ici il n’en est rien. Sans vouloir exclure ces situations, ce ne sont pas elles qui mobilisent notre attention. Pour notre population, la réussite ou plus exactement l’apparence de réussite sonne bizarrement comme un indicateur d’échec.

Une évidente prudence est de rigueur dans la mesure où deux données contradictoires s’opposent : il existe à la fois un bénéfice en matière de langage, une série de compétences installées et, tout à côté, une perte dans le domaine de la langue, une insuffisance pour entrer dans l’écrit. Tout se passe comme si les faiblesses de langue, réelles mais souterraines, se cachaient derrière une aptitude à verbaliser, à se monter à la hauteur de ce que souhaite l’enseignant. Observons également que cette double réalité, sorte de dialectique fatale, n’intervient pas de manière tout à fait simultanée ; le parcours en maternelle offre une médiatisation du langage qui s’estompe brusquement en primaire quand il s’agit d’accéder à la découverte du code. Résumons ces quelques caractéristiques pour notre population de recherche : les individus montrent un langage efficient en grande section, avec un vocabulaire plutôt riche et une capacité aisée à la prise de parole. En tout début d’apprentissage du « lire-écrire » en CP, lorsqu’ils sont confrontés à l’écrit, ils éprouvent rapidement des difficultés qui vont s’accentuer en cours d’année.