0111.3. Le milieu social comme troisième indicateur de l’échec

Dans l’établissement scolaire, le regard sur les faiblesses dans le « lire-écrire » se décline, couramment, selon deux critères essentiels: la maturité et le langage. Sur ces deux registres, nous avons mentionné que notre population ne montre aucune défaillance particulière. Nous avons signalé un déséquilibre important entre des difficultés de langue à partir du CP et de bonnes dispositions langagières en GS. Le milieu social, intervenant comme un autre révélateur de lacunes scolaires, vérifions si ce point caractérise plus directement les élèves de notre recherche.

A propos de cette caractéristique sociale, deux données sont principalement convoquées dans les propos des enseignants: le niveau culturel des parents et la dimension socio-économique. Si, bien souvent, un lien se manifeste entre ces deux aspects, leur distinction se justifie amplement dès lors que l’on aborde l’apprentissage du « lire-écrire ». En effet, un niveau socio-économique favorisé ne prédispose pas nécessairement à un éveil culturel important des enfants. Inversement, de faibles revenus ou une situation économique difficile de la famille ne s’accompagnent pas d’une faible attention éducative. Concernant la culture, nul ne conteste qu’un cercle familial encourageant la diffusion du livre, offre, pour l’apprenant lecteur, des conditions optimales de réussite. Cela ne se limite pas, bien entendu, à l’achat d’un album pour un anniversaire ou à tout acte isolé plus symbolique que culturel. Un environnement stimulant concerne aussi la fréquentation de la bibliothèque municipale, la présence de l’écrit dans la maison, le comportement de lecteur des adultes ou encore la manifestation du plaisir de lire pendant les temps de loisirs. Tout en admettant qu’il est difficile de connaître, dans le détail, les habitudes des parents à l’égard de l’écrit, force est de constater combien les élèves, éduqués dans cette culture de l’écrit, profitent à plein de ce bain de langue. Pour ces enfants, le CP ne constitue pas vraiment une découverte du « lire-écrire » mais une attente de compétences ou une amélioration d’acquis déjà implantés. Pour d’autres enfants, parce que ce monde leur est étranger, le livre se dévoile, non comme un partenaire attrayant mais davantage comme une menace, un objet d’aliénation où se côtoient angoisse, sanction et remise en cause. Le phénomène culturel s’accompagne d’un fort retentissement sur la réussite ou non de l’apprentissage du « lire-écrire ».

Bien qu’éprouvant des difficultés dans le « lire-écrire » en CP, les individus de notre population n’entrent pas non plus dans la catégorie des enfants manquant de culture. Ils manifestent, nous l’avons souligné, un langage satisfaisant qui s’appuie sur un éveil culturel évident. Leur prise de parole témoigne d’une stimulation culturelle incontestable. Le livre et l’écrit en général s’apparentent à un outil connu et apprivoisé dans sa dimension de sens. L’enfant attend l’histoire que l’adulte va raconter au moment de se coucher. Il prend un livre et regarde volontiers les illustrations pour reconstituer le fil du récit. Il photographie quelques mots et accède à un décodage automatique ; quand les circonstances sont favorables, il en restitue le sens devant des parents émerveillés. L’enfant adopte une attitude positive à l’égard de l’acte de lecture et, rien dans son attitude quotidienne, ne permet de déceler la moindre faiblesse, y compris dans sa motivation.

Le facteur socio-économique n’est pas non plus négligeable lorsqu’il apparaît particulièrement criant. Si nous avons rappelé que l’éducation se réalisait sans nécessairement de relation avec la donnée économique, certaines familles vivent néanmoins dans des conditions si précaires qu’elles ne permettent pas, à l’enfant, d’envisager positivement son avenir d’apprenant. Il n’est plus question, à ce moment là, de culture ni de livre, mais de survivance sociale. Les contraintes matérielles sont très présentes et nécessitent l’aide de l’enfant. Il participe concrètement à la vie de la famille, avant de penser à ses propres attentes. Ne bénéficiant d’aucune facilité (voiture, téléphone, carte bancaire, etc...), les tâches de chaque jour exige une mobilisation de tous. S’isoler dans une pièce pour feuilleter les pages d’une bande dessinée s’avère quasiment impossible, tout comme écouter, dans un silence religieux, le récit palpitant d’un « chair de poule ». Cette réalité de détresse socio-économique ne concerne pas, non plus, notre population. La plupart de nos élèves connaissent des niveaux de confort matériel satisfaisant et, en tous les cas, rien ne permet d’affirmer une quelconque influence de ce facteur. L’appartenance à une classe défavorisée n’intervient pas dans la raison de leurs difficultés d’apprentissage de la langue.