b) les fausses « vraies dispositions » d’Hélène

Deux réalités ont troublé particulièrement l’analyse objective de la situation scolaire d’Hélène et, en conséquence, ont contribué à ignorer ses difficultés. Le premier point concerne l’appartenance socio-économique. L’école reste toujours sensible à l’origine sociale des enfants. Si des structures d’aide pédagogique ont été créées, il convient d’admettre qu’elles accueillent, en majorité, des enfants d’un milieu social défavorisé. Certes, les mesures sur les cycles et sur l’implantation d’une pédagogie différenciée favorisent une plus grande prise en compte de la diversité des élèves. Au demeurant, il n’empêche que le pronostic d’échec demeure presque toujours associé aux enfants issus de la classe ouvrière ou de parents à faible revenu. A l’inverse, les professions libérales sont censées avoir généralement des enfants qui réussissent à l’école. Influencé par la profession des parents, médecin et ingénieur, le regard porté sur les dispositions d’Hélène s’apparentait à un a priori très favorable. Tout en évitant la caricature, l’idée même que cette enfant soit en difficulté scolaire relevait d’une certaine rupture par rapport à une norme, encore souveraine. En conséquence, l’appartenance sociale a probablement eu un impact négatif sur l’attention aux difficultés d’Hélène, sur le discours de l’école en direction des parents et sur les commentaires écrits faisant suite aux évaluations.

Le second élément déterminant dans l’analyse insuffisante des enseignants concerne le niveau de langage. Qu’il s’agisse de la richesse de son vocabulaire ou de cette capacité évidente à exprimer des idées, un langage élaboré ne signifie pas nécessairement une réussite dans le « lire-écrire ». En d’autres termes, la propension à accéder au sens, par l’intermédiaire du langage, ne préjuge pas d’une maîtrise de la langue. Lorsque Hélène s’exprime, son discours est construit de manière élaborée, avec une cohérence installée et une formulation adaptée. Pourtant, Hélène connaît des difficultés de langue comme si elle n’arrivait pas à poser une passerelle entre son langage et une mise en pratique, voire une mise en « graphique » de la langue. Cette différenciation conceptuelle, entre la langue et le langage, n’a pas été retenue par les enseignants qui ont, d’emblée, considéré une concomitance entre l’expression orale (le langage) et l’accès à la langue, en tant qu’instrument. Ce faisant, peut-être ont-ils encouragé Hélène à poursuivre son rapport singulier à la langue, tout acquis à l’énonciation orale.

Parce qu’ils sont assimilés, abusivement, comme des facteurs importants de réussite, l’appartenance sociale et le langage ont construit une réputation favorable à l’égard d’Hélène. Pour cette élève, ces deux éléments n’ont pas eu les effets attendus et les difficultés, trop longtemps ignorées, sont apparues massivement et très tardivement aux yeux des enseignants. Seul, le discours sur le mois de naissance (enfant née en fin d’année) témoignait d’une tentative d’explication.