3. Des défaillances de langue et non de langage

Par l’intermédiaire d’Hélène, notre population se dessine moins obscure dans ses contours, sans toutefois obéir à une définition clairement formulée. Il y manque l’illustration vivante des comportements d’élèves et une caractérisation précise du phénomène.

3.1. La dictée d’Hélène

Restons sur l’exemple que nous avons déjà abordé en la personne d’Hélène. Nous nous appuierons sur une dictée, réalisée en début d’année de CE.2, afin d’illustrer les carences dans le domaine de l’écrit.

Tableau n°2 : Recueil de la dictée d’Hélène, élève de CE.2.
Pour gagner un superbe vélo, Alain et Bernard font fons une course. Au débu deibu dèbut Bernard est devan, mes mais à un moment, Alain revien à sa auter hauteur. ils Ils arrive au but en mes tent tenps. le Le ma maire du village dit: « vous méritesez le prix tous les deux ».

Cette reproduction informatique ne rend pas compte d’une part, du caractère particulièrement heurté de l’écriture et, d’autre part, des nombreuses hésitations dans l’exercice graphique proprement dit. Selon le témoignage de l’enseignante, l’activité ne s’est pas accomplie, pour Hélène, dans une grande décontraction. On peut imaginer aisément la tension de cette élève, concentrée tout à la fois sur les multiples corrections et sur l’écoute de l’énoncé du texte. La dictée exige, chez Hélène, une dépense d’énergie si intense qu’elle interroge la pertinence de ce mode d’évaluation et les défaillances de cette élève.

Sans entrer dans le détail de l’analyse, notons qu’Hélène traduit presque fidèlement la réalité sonore du texte. Elle tente de transcrire tout ce qu’elle entend. Pratiquement tous les mots respectent, dans leur réalité graphique, ce que cette élève a perçu auditivement de la bouche de sa maîtresse. Non seulement ce constat s’applique à la quasi totalité des mots de la dictée, mais il concerne, également, la plupart des mots erronés et ceux rayés par Hélène elle-même :

Tableau n°3Quelques points d’analyse de la dictée d’Hélène
Mots erronés dans la dictée d’Hélène
Fons au lieu de font
Devan au de devant
Revien au lieu de revient
Arrive au lieu de arrivent
Tenps au lieu de temps
Mots apparus d’un premier jet d’écriture
Débu au lieu de début
Auter au lieu de hauteur
Tent au lieu de temps
Mérites au lieu de méritez

Seuls, deux éléments trahissent le mode de la simple transcription de l’oral : dèbut au lieu de début et, plus important, l’expression en mes temps au lieu de en même temps. Sans négliger l’existence de ces deux éléments, observons qu’Hélène manifeste une compétence dans le registre de l’orthographe phonétique. Autrement dit, le texte écrit correspond bien au texte oralisé. Néanmoins, la conclusion considérant la relation phono-graphique comme satisfaisante paraît hâtive pour deux raisons essentielles:

  1. le fait de traduire, avec une rigoureuse minutie, chaque son en lettre(s) témoigne d’un manque de rapidité et d’automatisme dans les relations entre phonèmes et graphèmes. Hélène, pour les mots nouveaux, s’applique laborieusement à transcrire les phonèmes, l’un après l’autre, comme si un traitement plus rapide ne lui était pas accessible. En même temps, cette démarche entretient un doute dans son esprit dans la mesure où elle n’ignore pas qu’à un son donné correspond plusieurs graphies possibles. En conséquence, elle adopte la méthodologie de l’essai-erreur pour laquelle deux ou trois tentatives sont déclinées, mais avec le risque de perdre le fil de la dictée.

  2. la centration sur les relations entre les sons et les lettres soulève l’hypothèse d’une totale dépendance à l’égard de cette procédure, au détriment des autres activités en jeu dans l’exercice de dictée. D’une certaine façon, l’accès à la bonne orthographe passe, de manière presque obligatoire, par une étape phono-graphique. La transcription du mot « hauteur » manifeste bien cette progression avec, dans un premier temps, une première expression phono-graphique (auter 3 ) puis, dans un second temps, l’énoncé orthographique correct, assez différent de la précédente version.

Le cas d’Hélène est intéressant en ce qu’il renvoie à deux conclusions à première vue contradictoires, à savoir celle d’un manque d’automatisme ou celle d’une soumission. Plus précisément, deux points de vue découlent de l’analyse :

  • ou bien l’on considère que le travail phonétique est satisfaisant mais trop exclusif (dépendance). Alors il conviendra d’aborder d’autres aspects complémentaires dans le passage à l’écrit qui restent plus faibles, chez Hélène.

  • ou bien l’orientation phonétique n’est pas jugée suffisamment maîtrisée par cette élève. C’est une amélioration de ce domaine qui sera travaillée afin d’accéder à une plus grande aisance et, par conséquent, à une disponibilité aux autres dimensions de l’écrit.

Notre recherche aura aussi pour but d’éclairer la complexité de la situation tant il est vrai que plusieurs chemins de remédiation sont, dans ce cas, envisageables. Auparavant, examinons un autre cas.

Notes
3.

Dans le mot auter, l’expert lecteur aura tendance à décoder « oté » alors qu’il convient, en s’inspirant de la logique d’Hélène, d’abandonner la combinaison sonore des lettres e et r au profit de deux identités phonétiques indépendantes.