3. L’approche globale de la lecture et notre population

Il ne nous appartient pas ici de développer une critique de l’approche globale, d’encenser cette méthode ou de reprendre les habituelles remarques négatives. Plus essentiel au regard de notre recherche, il convient de montrer si cette voie offre, pour les élèves de notre population, une explicitation de leurs défaillances dans le domaine de la langue. A ce titre, résumons la situation des deux représentants de notre population : Hélène et Quentin. Ils témoignent, l’un et l’autre, d’une difficulté importante à écrire un texte sans erreur d’orthographe, à lire une histoire pour en atteindre la signification. Ils ne montrent pas, par ailleurs, de défaillances sur leurs propres capacités à comprendre lorsque le message ne transite pas par de l’écrit. Ce constat pose la question du rapport entre le code et le sens. L’approche globale vise prioritairement une visée de sens mais cela correspond-il au problème de notre population ?

Observons que, généralement, l’attachement trop important à l’activité de décodage tend à éloigner l’enfant de la compréhension, mais que, par ailleurs, l’absence totale de décodage ne permet pas à l’enfant d’accéder au sens et donc à la compréhension. Par conséquent, nous pouvons considérer que les activités de combinatoire et de prise d’indices servent, les unes et les autres, une visée de compréhension. La recherche d’unités de sens et le décodage constituent alors deux éléments étroitement associés, voire dialectiques, de l’apprentissage de la lecture.

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Figure n°13Représentation de l’association du code et du sens dans l’acte de lecture

Cette analyse renvoie à l’équation de Gough et Juel16, intégrant les procédures de décodage et de prise de sens. Ils établissent, à cet effet, une égalité où la compréhension en lecture s’obtient d’une compétence de compréhension orale et d’une compétence d’identification de mots écrits.

Figure n°14 Egalité de Gough et Juel associant la compréhension orale et l’identification de mots écrits
Si,
L est la compréhension en lecture
D la capacité à identifier les mots écrits
C la compréhension orale

Alors,
L = D x C

Cette équation souligne que la compréhension orale (C), mécanisme non spécifique de la lecture, est associée au décodage (D) dans l’acte de lire. Elle illustre la position de ces deux auteurs : « ‘un mauvais décodage signifie peu de lecture, et donc peu d’occasions d’enrichir son vocabulaire et ses connaissances, ce qui prépare les fondations peu sûres pour le développement ultérieur de la compréhension écrite’ »17. Jean Marc Braibant, commentant cette représentation mathématique, écrit: « ‘la compréhension du langage écrit résulte de l’intégration (d’où le signe x ) de deux capacités essentielles et non pas simplement de la juxtaposition de celles-ci (qui aurait été marquée par le signe +)’ »18. En d’autres termes, la maîtrise du « lire-écrire » s’apparente bien à cette association du code et du sens. Les élèves de notre population, faisant la preuve d’une compréhension orale satisfaisante (C), n’accèdent pas à une compréhension en lecture (L) car ils éprouvent des faiblesses dans le registre du code (D). Nous soutenons, à ce titre, l’idée que l’approche globale n’offre pas des garanties suffisantes de pertinence à l’égard des élèves de notre population.

Un second argument joue en défaveur de l’approche globale. Il concerne une centration sur le langage et la lecture au détriment d’un travail sur la langue et l’orthographe. Ce choix témoigne, il est vrai, d’une indéniable cohérence d’un point de vue théorique car, si le sens mobilise la démarche d’apprentissage, celui-ci s’avère moins présent dans les règles de la langue écrite. Si nous reprenons la progression générale de l’orientation globale, la découverte s’articule d’abord sur le langage et non sur la langue orale. On cherche à faire s’exprimer l’enfant, sans s’arrêter à une analyse de l’instrument de langue. En illustration de ce principe, Laurence Lentin note : « ‘apprendre réellement à lire et à écrire nécessite l’activation d’un fonctionnement langagier d’acquisition dont on suppose qu’il ne doit pas différer profondément de celui qui caractérise l’acquisition du langage chez le jeune enfant ’»19. Signalons que les élèves, sur lesquels cette recherche s’articule, ne montrent pas d’insuffisances de langage. Si, pour quelques uns, des troubles de la parole se sont manifestés, l’échange verbal et la communication interpersonnelle s’avèrent satisfaisants.

Par ailleurs, la population de notre recherche accède difficilement à une production écrite en raison, principalement, de faiblesses orthographiques importantes. Or, l’approche globale se désintéresse de cette dimension, misant tout sur le sens. Sur ce point, Rieben, Fayol et Perfetti y voient, de la part de psychologues, une réalité théorique: « ‘il n’est guère possible de comprendre les processus en jeu dans l’orthographe et dans son acquisition sans prendre appui sur la linguistique’ »20. Il n’empêche que s’exprime, une nouvelle fois, l’incapacité pour l’approche globale à satisfaire le questionnement de notre recherche. L’angle d’acquisition de la lecture, centré uniquement sur le sens montre ses limites. Hélène Huot ne cache pas son hostilité à l’égard de l’approche globale : « ‘les affirmations de Smith et Foucambert en particulier, pour qui la lecture est une activité strictement idéo-visuelle, sont tout à fait insoutenables’ »21. Par l’insuffisante place accordée au code écrit et à la langue orale, par le refus d’introduire le décodage dans un accès possible à la compréhension, nous maintenons l’idée que cette orientation de l’apprentissage ne permet pas de répondre au problème posé par notre population. La question suivante, à savoir : « ‘en quoi l’approche globale de la lecture permet-elle d’éviter les difficultés rencontrées chez les élèves de notre population ?’ » ne peut être retenue comme pertinente pour notre recherche. Nous nous proposons d’aller vers les pédagogies de la langue car elles proposent, en ce qui concerne le code, des mesures concrètes d’apprentissage.

Notes
16.

GOUGH Philip B., JUEL Connie, Les premières étapes de la reconnaissance des mots in L’apprenti lecteur, sous la direction de L. Rieben et Ch. Perfetti, Editions Delachaux et Nieslé, Neuchâtel, 1989, 359 p, page 86.

17.

GOUGH Philip B., JUEL Connie, Les premières étapes de la reconnaissance des mots, Op. Cit., page 101.

18.

BRAIBANT Jean Marc, La diversité des troubles de la lecture, in Education spécialisée, Editions DeBoeck Université, Bruxelles, 1996, 195 p, page 76.

19.

LENTIN Laurence, CLESSE Christiane, HEBRARD Jean, JAN Isabelle, Du parler au lire, Tome 3, Editions E.S.F, Paris, 1977, 195 p, page 59.

20.

RIEBEN Laurence, FAYOL Michel, PERFETTI Charles A.(sous la direction de), Des orthographes et leur acquisition, Edition Delachaux et Niestlé, Paris, 1997, 403 p, page 9.

21.

HUOT Hélène, Et voilà pourquoi ils ne savent pas lire, Edition Minerve, 1988, 220 p, page 189.