2. Les difficultés de notre population à la lumière de la linguistique

Trois données posent problème : le statut de la langue écrite, la place de la lecture et de l’orthographe, la conception de la langue élaborée par l’enfant.

2.1. Tout repose sur l’oral

L’idée que la langue écrite s’appuie entièrement sur la langue orale souligne combien la dimension verbale détient une position forte selon cette linguistique. Dans ces conditions, le monde des sons acquiert une hégémonie incontestable, au point de considérer la langue écrite sous la totale dépendance de la langue orale. Cette dernière se présente, à ce niveau, comme se situant dans une fonction tutélaire. Les élèves que nous avons observés dans notre population témoignent, il est vrai, de capacités orales satisfaisantes, d’un langage élaboré, dégagé de la présence d’altérations phonétiques. Toutes les conditions seraient en place, selon la linguistique de l’oral pour permettre la réussite dans le « lire-écrire ». Or pour eux, les compétences d’expression orale s’avèrent, au bout du compte, insuffisantes pour accéder à une maîtrise de l’écrit. La capacité à prendre la parole n’offre pas systématiquement des compétences à l’égard de l’écrit. De plus, les éléments graphiques ne traduisent pas fidèlement toute la réalité sonore du langage. André Angoujard, confirmant cette analyse, écrit: « ‘notre langue écrite ne se réduit pas à la transcription de l’oral’ »26. Nina Catach dévoile un commentaire plus théorique: « ‘beaucoup de linguistes, suivant trop à la lettre (c’est le cas de le dire), les préceptes de Saussure lui-même, écartent délibérément l’écrit du champ de leurs investigations, et s’efforcent (en vain, dirai-je), de s’intéresser exclusivement à la langue « phonémique »’ »27. Autrement dit, non seulement le comportement de nos élèves ne confirme pas le bien fondé de cette orientation car ils échouent à l’écrit mais, à contrario, il témoigne peut-être à l’inverse de son impact négatif. D’un point de vue linguistique, une contestation émerge dans la mesure où la langue ne semble pas répondre à cette supériorité de l’oral sur l’écrit. Notre population manifeste probablement une trop grande dépendance à l’égard de l’oral, comme s’il s’agissait d’une position hiérarchique massive. Ces élèves apparaissent en difficulté, non pas uniquement en raison d’un lien étroit entre l’écrit et l’oral, mais également parce qu’ils ne comprennent pas la nature et les caractéristiques de ce lien.

Notes
26.

ANGOUJARD André, JAFFRE Jean Pierre, RILLIARD Jacques, SANDON Jean-Michel, Savoir orthogr a phier à l’école primaire, Hachette, Paris, 1994, 143 p, page 19.

27.

CATACH Nina, Pour une théorie de la langue écrite, C.N.R.S, Paris, 1988, 259 p, page 13.