0112.2. La lecture et l’orthographe

Un autre point d’interrogation, dans la linguistique de l’oral, se rapporte à la confusion, parfois exprimée, entre la lecture et l’orthographe. Lorsqu’un phonème est abordé, deux objectifs se présentent, sans que l’on sache véritablement les attentes en matière d’apprentissage:

  1. soit l’élève mémorise les graphies nécessaires au décodage. Pour le son [o], la figure n°17 en inventorie trois: o, au, eau.

  2. soit il lui est demandé de retenir toutes les graphies possibles pour un phonème donné. C’est l’inventaire des costumes de l’étape 3 présente dans la méthode Le Sablier. Pour le phonème [i], cela donnerait: i, iz, id, is, it, ix, ie, il, hi, y ...

Dans le cas n°1, la visée de lecture apparaît évidente car, dans toutes les situations d’identification de mots, le futur lecteur sera à même d’accéder au sens, y compris en prenant en considération le contexte. Dans l’autre configuration n°2, on entre dans un travail qui associe simultanément lecture et orthographe. A la fois, les activités s’adressent au débutant lecteur et au futur scripteur, approuvant l’idée selon laquelle les deux démarches procèdent d’une tâche cognitive similaire. L’utilisation de la langue, dans ces deux environnements, obéiraient aux mêmes contraintes linguistiques ? Inféoder à ce point la langue écrite à son expression acoustique laisse à penser que la langue écrite, elle-même, n’enferme aucun concept propre, aucune loi linguistique singulière. Pourtant, si nous prenons la notion de lettre muette, ne peut-on pas affirmer qu’il s’agit bien d’un concept spécifique de la langue écrite? Sur ce point particulier, nous observons chez les élèves de notre population une forme de transcription aléatoire à propos de la lettre muette. Tout se passe comme s’il n’existait un moyen de fixer cette lettre dès lors qu’elle est associé à une réalité sonore. En effet, la linguistique de l’oral tente, paradoxalement, de mémoriser la lettre muette en l’associant à une problématique phonétique. Or la transcription de cette lettre muette fait appel davantage à un acte de transcription de nature exclusivement lexicale.

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Figure n°18 Tableau des différentes graphies de [i] dans une approche de type Le Sablier

La justification orthographique souffre alors d’imperfections, très présentes chez Hélène et Quentin. Prenons les graphies qui incluent une lettre muette, c’est-à-dire celles qui soulèvent la seule réalité orthographique comme is, it, etc... Si l’on admet l’échelle Dubois-Buyse comme la référence en matière d’orthographe, le nombre total de « costumes »28 à retenir pour l’élève de CP est plus important que celui de mots à bien écrire. En d’autres termes, l’échelle Dubois-Buyse dénombre 26 mots avec lettre muette à connaître en fin de CP, alors qu’une orientation de type Le Sablier aborde beaucoup plus de costumes rendant très complexe l’apprentissage. Non seulement l’objectif de mener de front lecture et orthographe s’avère contestable, mais, en outre, la défense d’une entrée orthographique ne tient plus. Lire ne procède pas d’une démarche orthographique et il est possible d’être un assez bon lecteur mais un très mauvais scripteur.

L’observation de notre population confirme cette réserve. Bien qu’ils ne soient pas de grands liseurs, les élèves de notre recherche accèdent à une prise de sens satisfaisante sans pour autant connaître un niveau d’orthographe suffisant. Les deux domaines n’obéissent pas à des processus cognitifs identiques et, ce faisant, ne se découvrent pas selon une seule et même démarche d’apprentissage.

Notes
28.

Le terme de « costume » est utilisé dans l’approche Le Sablier pour énumérer toutes les graphies possibles d’un même phonème.