a) Les fonctions de chaque système

Trois systèmes caractérisent la langue écrite et forment un ensemble composite mais structuré :

  1. le système phonogrammique. Les unités de l’écrit transcrivent les phonèmes de l’oral. C’est un système dominant puisque, selon Carole Tisset, « ‘80 à 85 % des signes d’un texte retranscrivent des sons’ »45. Supposons un extrait du roman de Daniel Picouli « Le champ de personne » sur les préparatifs de la dictée lors de sa scolarité. Soulignons d’un trait l’espace phonogrammique des deux phrases :
    « M oi, jai le calme de celui qui va avoir zéro. Je flotte dans les airs comme un albatros, plus confiant encore que Delac qui ne fait jamais aucune faute, à aucun mot »46.
    Il apparaît nettement que ce système occupe une place majoritaire dans l’écrit. Il rappelle les relations grapho-phonétiques des méthodes de lecture traditionnelles, mais montre, aussi, que tous les espaces de l’écrit n’appartiennent pas à ce système. Pour autant, quelques éléments soulignés ont fait l’objet d’une certaine hésitation : fallait-il souligner « t » ou « tt » ²dans le mot « flotte » ? La lettre « m » du premier mot « Moi » combine en même temps une composante phonographique et grammaticale. La présence de la majuscule souligne l’existence d’une autre système.

  2. le système morphogrammique. Ce système renferme trois sortes de morphogrammes, grammaticaux, verbaux et lexicaux.
    011Le dernier élément de cette typologie n’entre pas dans l’inventaire habituellement désigné du système morphogrammique. Pourtant, il ne suffit pas de repérer tel phonème dans un mot pour écrire sans erreur. Le scripteur se doit également d’écrire la graphie correcte, parmi différentes possibilités, chose que l’énoncé oral n’indique pas.

  3. le système logogrammique. Il recouvre principalement les homophones comme saut, sot, seau. L’écrit donne le sens de ces mots, ce que leur oralisation ne permet pas intrinsèquement.

Figure n°21Typologie des morphogrammes
Les morphogrammes grammaticaux :
- les marques du féminin : la jolie fleur
- les marques du pluriel : les fleurs, les cheveux
Les morphogrammes verbaux :
- les marques d’un temps de conjugaison (subjonctif) : que je voie
- les marques liées à la 1ère, 2ème ou 3ème personne du singulier ou du pluriel : tu vois
Les morphogrammes lexicaux :
- les lettres muettes : le tapis
- les graphies de la « bonne orthographe »* : la maison (ai au lieu de ê).

Au terme de cette présentation du plurisystème, nécessairement survolée, force est de constater que la langue ne se décline plus tout à fait en langue orale ou en langue écrite. Elle n’en constitue plus la simple combinaison. En définitive, le plurisystème abandonne l’étude comparée entre l’oral et l’écrit et se consacre pleinement aux réalités multiples et singulières de l’écrit. Cette idée de système n’est tout de même pas totalement nouvelle car Jakobson, reprenant le message d’un linguiste praguois en 1930, écrit : « ‘puisque la langue est un système, il s’ensuit qu’il doit y avoir un lien étroit entre les structures grammaticale et phonologique ’»47. Toute la question, désormais, est de savoir si ce concept explique les difficultés de notre population de recherche.

Notes
45.

TISSET Carole, Apprendre à lire au cycle 2, Edition Hachette, Collection Pédagogies pour demain, Paris, 1994, 159 p, page 39.

46.

PICOULY Daniel, Le champ de personne, Edition Flammarion, Paris, 1995, 329 p, page 143.

47.

JAKOBSON Roman et WAUGH Linda, La charpente phonique du langage, Op. Cit., page 70.