1.4. Un regard critique sur le plurisystème

Rompant la dichotomie de l’oral et de l’écrit, évinçant toute suprématie d’une langue sur l’autre, le plurisystème constitue-t-il pour autant une réponse à notre questionnement initial ?

a) Une grille de simple analyse

L’émergence de trois systèmes de l’écrit offre la possibilité de mieux comprendre la situation de notre population. Rappelons-nous la dictée d’Hélène :

Pour gagner un superbe vélo, Alain et Bernard font fons une course. Au débu deibu dèbut Bernard est devan, mes mais à un moment, Alain revien à sa auter hauteur. ils Ils arrive au but en mes tent tenps. le Le ma maire du village dit: «  vous mérit es ez le prix tous les deux ».

En fonction des systèmes phonogrammique, morphogrammique et logogrammique, il est envisageable d’entreprendre un comptage des erreurs. A la fin de cet inventaire, une intelligibilité plus grande du problème d’Hélène, mais également de notre population, constitue un objectif attendu. Au demeurant, lors de l’étude sur le courant phonocentriste, la réflexion sur le cas d’Hélène s’est déjà orientée sur la conclusion suivante: il existe une forte soumission à l’oral qualifiée de dépendance phono-graphique.

Pour en revenir au comptage des erreurs selon le concept de plurisystème, on obtient le résultat suivant :

Figure n°22Inventaire des difficultés d’Hélène sous l’angle du plurisystème
Système phonogrammique Système morphogrammique Système logogrammique
Erreurs En mes temps
( en même temps)
Alain et Bernard fons
Au dèbut Bernard est devan
Alain revien
Ils arrive
En même tenps

Les erreurs d’Hélène orientent le diagnostic de défaillance sur le système morphogrammique. S’il existe une erreur sur le versant phonogrammique, elle demeure isolée. Plus important, les hésitations de l’élève, c’est-à-dire les erreurs qu’elle a rapidement corrigées, se situent également sur le système morphogrammique et valide une dominante. La conclusion précédente renvoyait à une dépendance phono-graphique tandis que l’orientation du plurisystème oriente l’observation vers une faiblesse morphogrammique. Cette analyse inédite pose l’interrogation suivante: existe-t-il une contradiction entre la dépendance phono-graphique et une défaillance morphogrammique? Un développement s’avère nécessaire afin d’éviter toute approximation.

  • Le premier point à souligner concerne l’appartenance conceptuelle. La dépendance phono-graphique s’inspire de la position défendue par les linguistes de l’oral dont elle souligne, d’une certaine façon, l’excès. La défaillance morphogrammique renvoie à un tableau linguistique centré sur la transcription graphique.

  • Le second point se consacre à la nature de l’analyse. La notion de « défaillance morphogrammique » souligne une absence, un manque. En quelque sorte, il s’agit d’une proposition de comblement, une invitation à agir là où les difficultés se concentrent. Différemment, l’expression de « dépendance phono-graphique » cerne un mode d’accès, une utilisation mal appropriée de la langue par l’élève.

  • Le dernier point met en confrontation les deux conclusions. La dépendance phono-graphique et la défaillance morphogrammique ne constituent-elles pas, en fait, un phénomène identique de cause à effet? N’y a-t-il pas dans la soumission à l’oral une forme d’aveuglement aux morphogrammes?

En l’état de notre réflexion, il nous est difficile de répondre à cet ensemble de questions. Le plurisystème, par le regard porté sur l’écrit, donne une image éclairante des défaillances de l’élève. Cependant, l’analyse en reste à un tableau descriptif des lacunes, sans relever les raisons profondes de la situation, sans expliciter la logique d’un apprentissage mal conduit. De ce point de vue, le plurisystème montre ses faiblesses. Il convient de le compléter par une recherche sur le fonctionnement de la langue à l’origine de la naissance des difficultés.