La composition linguistique de l’écrit, telle que l’a décrite N. Catach, marque bien l’abandon d’un seul chemin de la découverte. Il existe plusieurs systèmes et donc plusieurs voies d’accès à la maîtrise de la langue. L’intérêt du plurisystème réside dans la rupture avec un parcours linéaire unique qui oblige l’enfant à épouser un balisage décidé par l’enseignant. Carole Tisset confirme cette stratégie multipolaire: « ‘ce sont tous ces systèmes qu’il faut faire découvrir à l’enfant en lui apprenant à lire’ »48. Ceci étant, il n’en demeure pas moins vrai que le discours demeure centré sur une problématique d’enseignement. On pense la langue dans une logique de transmission même si cette logique apparaît plus élaborée, plus proche d’une certaine réalité linguistique.
En plus des questions non résolues, d’autres surgissent plus fondamentales: comment l’élève construit-il la langue? Quels rapports entretient-il à l’égard de la langue orale ou de la langue écrite? Pourquoi en est-il arrivé à ce résultat? Le plurisystème établit effectivement la description d’une langue écrite, mais d’une langue écrite experte. Or, précisément, notre population ne connaît pas cette situation. L’insuffisance du plurisystème s’installe dans le fait qu’il nous indique seulement le point d’arrivée. Sans nier l’intérêt d’une mise en perspective, ce qui intéresse surtout notre recherche, c’est la façon d’atteindre la réussite.
En définitive, la conceptualisation de la langue, selon une terminologie linguistique, s’avère nécessaire mais, véritablement, elle demeure insuffisante. Les différents courants qui gravitent autour de la définition de la langue, contribuent, selon leur propre angle de recherche, à saisir, avec un peu plus de réalisme, la complexité du français. Néanmoins, cloisonnée sur ce champ théorique, la langue se découvre comme un savoir, certes savant, mais inerte. Par ailleurs, l’absence de l’élève se fait cruellement sentir. Il n’apparaît pas dans la réflexion linguiste, pas plus lui que les actions qu’il mène pour atteindre la maîtrise du « lire-écrire ». En ce sens, on ignore les étapes d’élaboration progressive par lesquelles l’enfant transite. On ne mesure pas la logique singulière d’acquisition, à l’origine des défaillances. Les pédagogies de la langue ne répondent pas vraiment à la situation de notre population en raison de l’insuffisante importance accordée au sujet.
Bien que le plurisystème témoigne de ses limites à l’égard de notre population, la présentation d’une langue « plurielle » d’une part, associée à la notion de flux de langues d’autre part, permettent d’accéder à une démarche d’apprenant. La préoccupation du chercheur envers des élèves en difficulté de langue, vise à rationaliser le fonctionnement que l’élève élabore sur la langue. A ce niveau, nous observons premièrement, que la langue orale ne se transcrit pas entièrement mais partiellement et, deuxièmement, que la langue écrite et langue orale dévoilent leurs propres concepts. En termes linguistiques, une formule inédite pourrait concentrer cette donnée:
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«
entre la langue orale et la langue écrite, il y a autonomie dans l’interdépendance » |
Selon ce principe, appliqué à l’activité de dictée, le débutant scripteur aurait à gérer simultanément trois opérations distinctes:
j’entends mais je n’écris pas (les liaisons)
j’entends et je transcris (la correspondance phono-graphique)
je n’entends pas mais j’écris (les morphogrammes)
Conservant l’idée de la pluralité, la description de la langue acquiert désormais une connotation dynamique et un ancrage psycholinguistique. En ce sens, une attitude plus explicite de l’élève est soulignée. Une sorte de filtre linguistique, posé par l’apprenant, constitue un instrument de prise en compte de l’oral mais aussi de vigilance à son égard.
L’action d’écriture proprement dite s’affirme, sans renoncer totalement aux relations entre la langue orale et la langue écrite. La description, abandonnant le discours savant, offre une place prépondérante à l’apprenant. Ce n’est plus seulement la langue, en tant qu’objet d’apprentissage, qui mobilise le chercheur, mais c’est également l’élève. Notre population de recherche, pour analyser ses compétences, réclame une nécessité d’évaluation de ses travaux. Elle sollicite également que le mode d’efficience de la langue soit appréhendé.
TISSET Carole, Apprendre à lire au cycle 2, Op. Cit., page 43