2. Des réserves à l’égard des pédagogies du sujet

Nous ne pouvons pas nous contenter d’émettre sur ces pédagogies du sujet de simples remarques. Il nous faut entrer dans le coeur de ces pédagogies et montrer en quoi elles n’offrent pas de garanties suffisantes de réussite pour un groupe d’élèves.

2.1. Code, sens et compréhension

Dans la première partie de cette recherche, nous avons mis en avant l’équation de Gough et Juel afin de contester l’unique référence du sens dans l’approche globale. Nous ne croyons pas non plus qu’il faille accorder une place prédominante au code contre une finalité de sens. L’opposition entre ces deux termes mérite quelques remarques conceptuelles.

D’une part, la séparation entre code et sens laisse à penser que la découverte du « lire-écrire » s’appuierait sur l’un ou sur l’autre. Or, tout lecteur, face à un écrit, utilise les ressources qui lui sont accessibles en fonction du support, du sujet, de son expertise, des conditions dans lesquelles se réalise l’activité. Le lecteur expert freine le débit de la lecture d’un texte courant s’il rencontre un mot qui lui apparaît compliqué ; il y revient et opte, par exemple, pour une identification plus précise. Code et sens sont, par conséquent, deux armes utiles pour un lecteur-scripteur. Dans ces conditions, il est nécessaire de les enseigner toutes deux et non de faire un choix sur l’une ou l’autre. Nous pouvons contester les pédagogies du sujet qui, à ce titre, refusent l’investissement sur le code.

D’autre part, développer une opposition entre le code et le sens entretient une sorte d’hégémonie idéologique du second terme sur le premier. Utiliser l’argument du sens pour défendre sa propre pédagogie du « lire-écrire » ne peut constituer, telle quelle, une justification incontestable. Autrement dit, ce n’est pas tant l’intention de l’enseignant et la référence de ses méthodes qui comptent, c’est avant tout le bénéfice qu’en tire l’élève. Se sent-il concerné par une finalité de sens dans une situation de lecture ou de production d’écrits ? Le « sens » est un terme polysémique, énoncé fréquemment, sans qu’on puisse toujours délimiter l’implication réelle dans la pédagogie au quotidien.

Nous pouvons également évoquer le confusion entre sens et compréhension. La prise de sens convoque des techniques49 qui, elles-mêmes, sollicitent des compétences particulières chez le lecteur scripteur. La compréhension se situe dans le registre des finalités, des buts à atteindre, du résultat attendu. Il existe une logique des moyens qui n’a d’intérêt que si elle supporte une logique des finalités. La première est totalement au service de la seconde. Dans ces conditions, dans tout acte de lecture ou de production écrite, ce qui compte fondamentalement c’est la compréhension et non le moyen d’y parvenir. Cela signifie que le sens ne constitue pas l’élément central du « lire-écrire » et qu’une prise de sens n’équivaut pas forcément à une compréhension. Prenons un exemple concret : un élève est confronté à la lecture de la phrase suivante :

Les coureurs du Tour de France montent le col sans fatigue.

Suite à cette lecture, l’élève s’adresse à l’adulte et redonne le contenu qu’il en a perçu : « ‘ça parle des coureurs du Tour de France qui sont fatiguées en grimpant la montagne’ ». Nous ne pouvons pas contester la prise de sens qui s’est opéré dans ce travail. Il existe effectivement des données exactes dans les propos de l’élève et pourtant nous conclurons que cet élève n’a pas compris le texte et qu’il a même commis un contresens. Cette expérience témoigne du fait que la prise de sens peut se manifester sans que la compréhension soit présente. Ce n’est plus du code et du sens dont il convient de parler mais de la triade code, sens et compréhension.

Un dernier revers de la référence systématique au code et au sens se manifeste dans la négation de toute intelligibilité dans le code. Il se crée une sorte d’instrumentalisation qui réduit le code à une connaissance purement mécanique que l’enseignant aborde en pensant que le choix est nécessaire mais forcément douloureux pour l’apprenant. Les pratiques pédagogiques mises en oeuvre renvoient souvent à une logique d’application où l’enfant doit avant tout mémoriser avec l’intention de reproduire des modèles qui s’imposent à lui. De manière flagrante, les dispositifs d’apprentissage ne tentent pas d’expliquer le code au débutant lecteur ou scripteur ; ils ne sollicitent pas souvent une compréhension de la langue en tant que système linguistique. Il existe, à tort, un refus de penser que la maîtrise du code offre aussi des possibilités d’accéder à la compréhension.

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Figure n°24 Représentation de la relation entre le code, le sens et la compréhension
Notes
49.

Nous les avons déjà évoquées en partie 1, à savoir la formulation d’hypothèses, l’anticipation, la prise d’indices.