La maîtrise du « lire-écrire » s’apparente, dans cette orientation centrée sur le sujet, à une construction en deux étapes. La première s’appuie sur la capacité de l’élève à photographier les mots dans leur globalité. Cette compétence, idéo-visuelle par nature, se développe lorsque l’enfant repère, dans les mots, des indices visuels caractéristiques. Ce sont la forme des lettres, leur couleur, la longueur du mot, la présence d’un logo, le contexte dans lequel il apparaît. L’ensemble constitue alors une donnée de sens qui permet au lecteur débutant d’identifier un mot sans passer par une phase de décodage. Cette étape est appelée logographique dans la mesure où l’élève est sensible à l’image du mot, en définitive à son apparence.
La seconde étape est dite orthographique. La fréquence et l’imprégnation progressive des mots dans la première étape débouche sur une interpellation de la réalité graphique de la langue. L’enfant questionne l’écrit et fixe un certain nombre de règles quant à son fonctionnement. Elles sont d’abord approximatives, en partie erronées initialement, puis s’améliorent au fur et à mesure des rencontres régulières avec l’écrit. Il existe une sorte de confrontation permanente entre l’apprenant lecteur et le système de l’écrit. Jean Foucambert écrit à ce sujet; il défend l’hypothèse « ‘d’un ’ ‘développement continu’ ‘ de la conscience graphique permettant de passer des mots vus comme des images à un système graphique organisé’ »50. La conscience graphique dont il est question ici s’identifie davantage, en réalité, à une conscience orthographique. En effet, dans l’esprit de l’auteur, le rapport à l’écrit ne se conçoit pas, à ce niveau, comme un acte d’écriture mais comme une découverte du fonctionnement instrumental. Cette clarification sémantique permettrait de ne pas confondre la conscience orthographique et la conscience graphique, telle qu’elle est soulignée par Jacques Fijalkow51 dans son ouvrage « Entrer dans l’écrit ». Il s’agit ici d’une construction de la langue qui transite par des expériences d’écriture, au sens psychomoteur.
L’idée d’un développement dans le dispositif d’apprentissage pose un double questionnement. Peut-on effectivement considérer ce choix comme adapté à l’objet que constitue la langue ? Ces deux étapes sont-elles les seules qu’il faille considérer? Sur l’idée même d’un développement linéaire, selon un balisage bien établi, une réserve peut être énoncée quant à la rigidité du dispositif. Tout se passe comme si d’autres voies possibles n’étaient pas accessibles, comme s’il s’agissait de suivre catégoriquement le parcours décidé par l’enseignant. Ce n’est pas tant les idées qui sont critiquables mais la manière de les mettre en oeuvre. Plutôt qu’un développement continu, ne peut-on pas faire l’hypothèse d’un dispositif circulaire qui autoriserait une plus grande flexibilité dans les moyens d’atteindre la réussite du « lire-écrire ».
Par ailleurs, le refus d’introduire le code comme un élément important (et non un préalable) soulève quelques réserves. S’il convient d’éviter toute stigmatisation de l’enfant sur la réalité instrumentale, cet aspect n’en demeure pas moins comme une donnée d’accessibilité à la compréhension. Les pédagogies du sujet refusent assez nettement la présence du code dans le dispositif de découverte de la langue davantage par idéologie que par nécessité.
FOUCAMBERT Jean, L’enfant, le maître et la lecture, Op. Cit., page 139.
FIJALKOW Jacques, Entrer dans l’écrit, Editions Magnard, Collection Les guides Magnard, Tournai (Belgique), 1993, 104 pages.