011 1. Les orientations de la psycholinguistique

La psycholinguistique se situe, comme son nom l’indique, dans un espace à proximité des sphères linguistique et psychologique. Il s’agit, tout d’abord, de bien comprendre la nature de cet entre-deux: renvoie-t-il à l’idée d’un cumul ou bien concerne-t-il une intersection entre deux champs théoriques? Une partie de cette réponse se conçoit en énonçant les caractéristiques de la psycholinguistique: en effet, sa spécificité est de nature paradigmatique, dans le sens où l’émergence du questionnement n’obéit pas aux mêmes préoccupations que les autres champs. Rappelons-le, la linguistique s’intéresse en priorité à la langue comme objet d’étude, tandis que la psychologie a pour domaine central le sujet. Dans un cas comme dans l’autre, leurs conclusions sont transférables à d’autres recherches; ainsi, les études linguistiques s’appliquent aussi pour des rééducations langagières, les principes psychologiques sont utilisés pour mener des psychothérapies. En ce qui concerne la psycholinguistique, la recherche se concentre totalement sur le sujet apprenant la langue. Cette bipolarité sujet-langue n’est pas une simple juxtaposition, mais elle est en réalité un seul et même ensemble, une entité théorique unique et indissociable. « ‘Alors que la linguistique se préoccupe de l’objet, la langue, la psycholinguistique se préoccupe du sujet, le locuteur et l’interlocuteur à l’oral, le lecteur et le scripteur à l’écrit’ »52.

Cette combinaison du sujet et de la langue offre l’originalité de consacrer au contexte d’apprentissage une place importante. En même temps, elle met l’élève au centre de la découverte. En d’autres termes, un principe essentiel est soulevé: c’est bien l’enfant qui indique le niveau de connaissances atteint dans le « lire-écrire » et c’est avec lui que s’élaborent progressivement les différentes acquisitions. « ‘Pendant de longues années, les discours et les ouvrages sur l’apprentissage de la lecture avaient un point commun: les enfants y étaient absents. On examinait tout sauf le principal intéressé’ »53. Ces propos de Gérard Chauveau et de ses collègues indiquent combien la recherche peut devenir aveugle, en particulier lorsqu’elle tente de rester dans son univers conceptuel. La position de ces mêmes chercheurs s’affirme nettement: « ‘comme Wallon, nous pensons plutôt que les découvertes les plus importantes se font aux frontières, c’est à dire à l’intersection de plusieurs disciplines et de plusieurs approches scientifiques’ »54.

L’espace psycholinguistique repense les différentes orientations pédagogiques, en se centrant sur une direction particulière : langue orale, langue écrite, son et sens. En conséquence, plusieurs courants cohabitent :

  • La dimension interactive et dialectique

  • L’orientation graphique

  • La direction métalinguistique

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Figure n°26Représentation de l’espace psycholinguistique

Revenons globalement sur chaque courant, avant d’entrer dans une étude plus approfondie :

  1. la dimension interactive de l’apprentissage de la lecture exploite les deux directions si souvent opposées, celle du code et celle du sens. Cette dimension n’innove pas véritablement si l’on considère qu’elle utilise des positions sur l’apprentissage largement évoquées dans le passé. Néanmoins, et c’est un point capital, sa manière d’envisager les étapes du développement du « lire-écrire » apparaît tout à fait éclairante.

  2. L’articulation entre la découverte de la langue écrite et celle de la langue orale est souvent un terrain privilégié dans l’apprentissage. Une seconde dimension psycholinguistique milite pour un travail directement centré sur l’écriture sans nécessairement passer par la lecture. Cette direction s’appuie sur l’acte d’écrire, comme d’autres sur l’acte de lire, avec toute sa symbolique de sens. L’association d’une trace écrite et d’un signifié, la connaissance de l’alphabet comme signes graphiques de l’écriture sont des axes exploités.

  3. Le troisième courant est à l’opposé du précédent. La médiation phonologique est mise en avant. Des concepts dénommés « compétences métalinguistiques » sont avancés et montrent qu’une maîtrise de la langue orale s’avère absolument indispensable à la réussite du « lire-écrire ».

Notes
52.

FIJALKOW Jacques, Entrer dans l’écrit, Op. Cit., page 14

53.

CHAUVEAU Gérard, REMOND Martine, ROGOVAS-CHAUVEAU Eliane, in L’enfant apprenti lecteur, ouvrage collectif, Edition I.N.R.P L’Harmattan, Paris, 1993, 220 p, page 18.

54.

CHAUVEAU Gérard, REMOND Martine, ROGOVAS-CHAUVEAU Eliane, in L’enfant apprenti lecteur, Op. Cit., page 19.