L’approche métalinguistique oriente l’apprenti lecteur ou scripteur, non pas seulement vers une utilisation de la langue, mais aussi et surtout vers une analyse et une compréhension de cette langue. Il s’agit désormais de définir et d’organiser les étapes de la découverte en tenant compte des caractéristiques proprement linguistiques. A chaque fois, c’est bien cette capacité à porter un regard précis sur les propriétés de la langue qui sera attendue. Cinq niveaux sont pris en considération par Elisabeth Demond et Jean Emile Gombert93 dans la revue « Eduquer et former » tandis que Jean Emile Gombert94 dans son livre « le développement métalinguistique » relève six développements métalinguistiques. Nous nous proposons de les présenter en évitant toute présentation hiérarchique :
le niveau textuel. Il s’applique à la compréhension globale du texte oralisé et donc au fait que l’élève puisse s’interroger sur sa propre capacité de compréhension. Plusieurs aspects sont soulevés par ce niveau: le contrôle de la cohérence et de la cohésion du texte, la maîtrise de sa structuration et le choix d’une stratégie qui facilite la compréhension.
le niveau pragmatique. Il s’appuie sur l’existence et l’influence du contexte sur le message oral. Dans la réalité, tout discours est inclus dans un environnement particulier qui joue en sa faveur ou en sa défaveur, selon le partenaire, le ton employé, le climat installé. Cette relation entre contexte et langage, lorsqu’elle est perçue et gérée par l’enfant mais également par l’adulte, peut permettre d’accéder à une meilleure compréhension. L’absence de la capacité métapragmatique est particulièrement sensible chez l’élève en difficulté scolaire: c’est l’élève qui, à l’écoute d’une question, répond seulement en fonction de
l’intonation de l’enseignant ou d’un indice relevé mais supposé à tort pertinent. Contexte et message sont alors étroitement associés et, pire encore, la suprématie du premier élément éjecte l’enfant de toute prise de sens. Lorsque ce comportement devient systématique, l’énergie n’est plus consacrée à comprendre mais à détecter des informations suggérées par l’environnement.
le niveau sémantique. Il développe, pour la langue, l’existence d’un code conventionnel. Les relations entre signifié et signifiant illustrent cette dimension. Piaget aborde aussi cette caractéristique en la nommant fonction symbolique. Un objet est représenté par une trace aussi bien sonore (langue orale) que graphique (langue écrite). L’intérêt pour l’enfant est par conséquent d’accéder à ce symbolisme et de rompre avec le lien perceptif entre l’objet et son référent. « ‘Grâce à cette capacité nous savons que ’ ‘«’ ‘ train » est un mot court bien que référant à un objet long’ »95.
le niveau lexical. Il renvoie à l’idée que chaque mot est porteur de sens et que l’accumulation de mots avec signification participe à la constitution d’un lexique interne. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’intégrer, plus ou moins, des mots au gré des expériences que vit l’enfant, sans jamais en comprendre l’intérêt. L’approche métalexicale s’appuie sur une intention délibérée, sur une action volontaire de mémorisation qui contribue à atteindre une maîtrise plus élaborée de la langue.
le niveau syntaxique. Il renferme toutes les règles de grammaire de la langue. Selon Elisabeth Demont, le fait qu’un élève n’ait pas conscience, au-delà du savoir pur, de l’existence de règles de grammaire peut entraîner des répercussions négatives sur son apprentissage de la lecture: « ‘l’étude de Tunmer, Nesdale et Wright (1987) apporte une preuve expérimentale de l’effet causal des difficultés au niveau de la maîtrise syntaxique sur le retard en lecture’ ».96
le niveau phonologique. Il concerne le monde des sons et son implication dans notre langue. L’objectif visé pour l’apprenant correspond à la capacité « ‘d’identifier les composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler de façon délibérée ’»97. Ce niveau a été abordé dans plusieurs études et c’est, à en croire les propos de Laurence Rieben et Charles A. Perfetti, deux chercheurs américains qui en seraient les initiateurs: « ‘nous avons choisi de donner au chapitre de I. Liberman et D. Shankweiler la faveur d’introduire l’ouvrage, à la fois parce qu’il constitue une entrée en matière bien documentée mais aussi pour rendre hommage au rôle de pionniers que ces auteurs ont joué dans le domaine de l’étude de la conscience phonologique et de ses relations avec l’apprentissage de la lecture’ »98. Séverine Casalis et Liliane Sprenger-Charolles donnent une précision supplémentaire à la dimension métaphonologique: « ‘on entend par capacités métaphonologiques les différentes formes de sensibilités aux unités de segmentation non signifiantes de la langue orale: entre autres, les syllabes et les phonèmes’ »99. Rebecca Treiman confirme cette disposition à travailler sur les syllabes et les phonèmes lorsqu’elle cite les travaux de deux chercheurs américains sur la conscience métaphonologique : « ‘Rozin et Gleitman (1977) ont proposé d’apprendre aux enfants le lien entre mots écrits et parlés en travaillant au niveau des syllabes plutôt qu’au niveau des phonèmes’ »100.
Les différentes orientations que soulève l’espace métalinguistique constituent pour chacune d’entre elles une source possible de recherche. Il est à noter que la complexité qui accompagne cet inventaire soulève, en ce qui nous concerne, la nécessité d’une exploration qui reste largement à entreprendre. C’est en particulier le cas pour les consciences métapragmatique et métalexicale pour lesquelles il nous est difficile de sentir les retentissements pédagogiques. Pour autant, retenons de cette orientation métalinguistique deux éléments essentiels: d’une part, l’intérêt à faire prendre conscience à l’élève des différentes spécificités linguistiques et d’autre part, les pistes possibles d’exploitation.
La conscience métaphonologique renvoie directement aux difficultés de notre population. Rappelons que les élèves de cette recherche, bien qu’ils possèdent un langage satisfaisant et une bonne compréhension orale, connaissent de grandes défaillances lorsqu’il s’agit de passer à la transcription écrite d’un message oral. Leurs difficultés se manifestent aussi bien quand ils produisent un texte que lors de l’activité de dictée. Dans notre investigation, l’analyse du problème s’est construite autour de l’observation d’une compréhension insuffisante de la langue, d’un point de vue instrumental. C’est la maîtrise par l’élève de l’outil de langue qui semble particulièrement insuffisante, tout en considérant que l’origine des faiblesses ne concerne ni une dialectique son et sens, ni une faiblesse centrée sur la seule langue écrite. La conscience métaphonologique, par l’ancrage sur les syllabes et les phonèmes, s’adresse plus nettement aux premiers pas de la découverte. Elle apparaît, de ce fait, comme une première étape d’un travail sur la langue orale, à tout le moins comme une phase cruciale avant un approfondissement. En ce sens, elle témoigne d’une réelle adaptation à notre situation de recherche et mérite un développement particulier.
DEMONT Elisabeth et GOMBERT Jean Emile, pp 11-22, in Eduquer et Former, Op. Cit., page 12.
GOMBERT Jean Emile, Le développement métalinguistique, Op. Cit.
DEMONT Elisabeth et GOMBERT Jean Emile, pp 11-22, in Eduquer et Former, Op. Cit., page 12.
DEMONT Elisabeth, Conscience phonologique, conscience syntaxique, chapitre 12 pp 195-208, in Ev a luer les troubles de la lecture de Jacques Grégoire et Bernadette Piérart, Edition DeBoeck Université, Bruxelles, 1994, 272 p, page 196.
GOMBERT Jean Emile, Le développement métalinguistique, Op. Cit., page 29.
RIEBEN Laurence, PERFETTI Charles A., L’apprenti lecteur, Editions Delachaux et Niestlé, page 16.
SPRENGER-CHAROLLES Liliane, CASALIS Séverine, Lire, Presses Universitaires de France, collection Psychologie et Sciences de la Pensée, Paris, 1996, 258 p, page 14.
TREIMAN Rebecca, Le rôle des unités intrasyllabiques dans l’apprentissage de la lecture, pp 240-259 in L’apprenti lecteur, Op. Cit., p 255.