Certains auteurs, préférant associer à une conscience métaphonologique une manipulation véritable de l’enfant sur les phonèmes et non seulement sur les syllabes, considèrent l’activité pré-scolaire sur les rimes comme sans rapport avec la lecture: « ‘l’enfant distingue parfaitement entre voisins phonologiques tels que SAC, BAC et LAC (si tel n’était pas le cas, il n’aurait pas appris à parler) mais cette habileté résulte de l’activité automatique du système de traitement de la parole ’»108. Ces partisans de la discontinuité croient que la conscience métaphonologique, dès lors qu’elle se centre sur le concept de phonème, ne se développe réellement qu’à partir du moment où l’enfant est confronté à la découverte du lire-écrire. Dans cette mouvance, Isabelle Liberman écrit: « ‘la conscience des phonèmes, unités de base de notre système alphabétique, est initialement plus difficile à acquérir que la conscience des syllabes, et se développe plus tard, si elle se développe’ »109.
En d’autres termes, c’est l’apprentissage de la lecture qui participe spécifiquement à la découverte d’une compétence métaphonologique. La relation entre la première et la deuxième est inverse de celle exposée par les tenants de la continuité. Pour ce deuxième courant, il n’est pas question de discuter de pré-requis mais il est convenu que l’approche métaphonologique est facilitatrice de la lecture-écriture. « ‘La conscience phonémique est un produit de l’apprentissage de la lecture: elle ne se développe qu’à partir de cet apprentissage’ »110 témoigne Liliane Sprenger-Charolles lors d’une analyse de ce second courant. Il existe dans cette seconde voie l’idée que les compétences métaphonologiques seraient loin d’être naturelles et qu’il conviendrait d’y travailler de manière attentive lors de l’apprentissage du « lire-écrire ».
En définitive, la contradiction porte sur la nature de la relation en métaphonologie et apprentissage du lire-écrire. Le point central s’apparente à une querelle d’influence entre deux variables: « qui influence qui? ». La résolution de cette question est capitale pour notre recherche dans la mesure où nous étudions, comme le formule notre problématique, le lien entre la compréhension du code écrit (phono-graphique essentiellement) et les compétences dans le domaine du « lire-écrire ». Si nous savons désormais que la métaphonologie permet l’accès à une compréhension de la dimension phonique, nous ignorons véritablement l’existence et la nature des retentissements sur le « lire-écrire » induits par cette entrée psycholinguistique.
ALEGRIA Jésus, LEYBAERT Jacqueline et MOUSTY Philippe, Acquisition de la lecture et troubles a s sociés, chapitre 8 pp 105-126, in Evaluer les troubles de la lecture de Jacques Grégoire et Bernadette Piérart, Op. Cit., page 115.
LIBERMAN Isabelle et SHANKWEILER Donald, Phonologie et apprentissage de la lecture: une intr o duction, Chapitre 1, pp 23-42, in L’apprenti lecteur, sous la direction de Laurence Rieben et Charles Perfetti, Op. Cit., page 30.
SPRENGER-CHAROLLES Liliane, L’acquisition de la lecture: conscience phonologique et mécanismes d’identification des mots (perspective cognitive), pp 111-133, in Les Entretiens Nathan, Op. Cit., page 116.