0113.1. L’expérimentation de Calfee

Toutes les évaluations entreprises sur la conscience métaphonologique se sont réalisées par oral, sans support écrit, car ce concept est associé à une compétence de langue orale. Pourtant une exception existe dans la tentative d’inclure, dans le dispositif, une représentation graphique. Le chercheur Calfee et ses collaborateurs ont tenté cette autre voie de la visualisation des phonèmes. Jean Emile Gombert rapporte cette expérimentation anglo-saxonne, menée en 1973: « ‘Calfee & coll. demandent à des sujets âgés de 6 à 17 ans d’arranger des cubes de couleur conformément à l’arrangement des phonèmes dans les syllabes qu’ils leur présentent oralement’ »128. Matérialisons cette démarche (nous remplacerons les cubes de couleur par des symboles) :

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Figure n° 37Expérimentation de Calfee portant sur une symbolisation des phonèmes

Cette évaluation s’est avérée très peu réussie par les enfants de 5 à 7 ans. Jean Emile Gombert témoigne du niveau atteint: « ‘il faut attendre 8 ans pour qu’une majorité d’entre eux ait des performances correctes et à 12 ans, un tiers des sujets échouent encore’ »129. Il est vrai que les exercices proposés exigent une faculté de combinatoire, difficilement accessible pour un lecteur débutant qui n’aurait pas bénéficié d’un entraînement préalable. Néanmoins, il convient d’admettre que la matérialisation visuelle des phonèmes par des cubes soulève des soubassements conceptuels qui ne sont pas étrangers à la notion de conscience phonographique. Nous pouvons relever deux éléments qui militent en faveur de cette rencontre :

  1. A un phonème correspond bien une représentation graphique.

  2. La succession dans l’apparition des phonèmes constitue une variable importante.

Par contre, l’expérimentation de Calfee n’introduit pas explicitement le sens de l’écriture avec, en conséquence, un ordre dans la présentation des symboles. D’autre part, cette évaluation ne donne aucun élément sur une analyse de la conscience syllabique. En définitive, les résultats ne convainquent pas la communauté scientifique qui a peu repris cette expérimentation. Nous en garderons l’idée d’une voie phonographique qui, bien qu’elle soit ici incomplète, envisage une association de la langue orale et de la langue écrite.

Trois données essentielles participent à l’établissement d’une conscience phonographique pour laquelle elles en constituent le socle:

  • la représentation graphique linéaire de l’unité syllabique ou phonémique. Il est attendu que l’enfant puisse associer une trace visuelle à une syllabe ou à un phonème, selon la nature de la demande.

  • l’ordonnancement. Cet élément renvoie un inventaire précis de l’apparition des unités linguistiques. L’ordre existe déjà, pour les activités de conscience phonique, selon une dimension de temps. Désormais, il se manifeste pour un travail de conscience phonographique dans un environnement spatial.

  • l’orientation de la gauche vers la droite. L’écriture impose une convention du sens de l’émission graphique. Les unités linguistiques (syllabes ou phonèmes) sont représentées par des signes qui se succèdent selon une direction précise.

Les trois éléments que sont la linéarité, le sens de la gauche vers la droite et l’ordonnancement ne sont pas totalement étrangers à l’élève débutant lecteur et scripteur. Observons que dès la petite ou moyenne section de maternelle, les enfants sont déjà entraînés à tenir un crayon et à transcrire le plus souvent leur prénom. Très tôt, ils sont accompagnés dans un travail sur l’écrit. Certes, la qualité graphique de leur production n’est pas toujours présente mais, et c’est plus important, relevons qu’ils utilisent ou tentent de le faire ces trois conventions de l’écrit. En clair, dans la conscience phonographique, il s’agit de rendre plus explicites les relations entre un message oral et un message écrit en prenant appui sur des données que l’enfant connaît déjà, même partiellement.

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Figure n°38Trois éléments fondamentaux de la conscience phonographique

Illustrons la différence qui se manifeste entre la conscience phonique (uniquement positionnée sur l’oral) et la conscience phonographique (qui s’appuie sur l’oral tout en tenant compte des conventions de l’écrit). Sur un mode oral, l’activité principale de conscience phonique consiste à énumérer les différents phonèmes qui composent un mot. A l’écoute du mot « chat », l’enfant doit énoncer les deux phonèmes suivants : « ch » et « a ». Si cet exercice constitue un bon entraînement, il n’offre pas toutes les garanties nécessaires au regard de la maîtrise de la langue. Attardons-nous sur les limites de ce mode oral. Supposons que l’enfant ait donné une bonne réponse, nous ignorons le plus souvent comment il a procédé pour atteindre ce résultat. Faisons l’hypothèse suivante : l’élève se donne des repères visuels « dans sa tête » au fur et à mesure qu’il trouve les phonèmes du mot « chapeau » par exemple. Pour le premier phonème, il installe dans sa mémoire un rectangle 1; pour le deuxième, il choisit un rond 2; pour le troisième un triangle 3 et pour le dernier un losange 4. Il aurait pu tout aussi bien opter pour des couleurs au lieu de formes ; peu importe car ce qui est crucial, c’est l’organisation qu’il fait de ses propres repères visuels. Admettons qu’il respecte la linéarité, l’ordonnancement mais pas le sens de la gauche vers la droite. Son système n’est pas conforme à la convention de l’écrit et pourtant sa réponse sera néanmoins satisfaisante. La gratification de la bonne réponse par l’enseignant consolidera chez l’enfant l’implantation d’une organisation défaillante et risquera de contrarier sa découverte de l’écrit. Nous nous limitons, dans cet exemple, à un simple dysfonctionnement affectant le sens de l’écrit. D’autres erreurs, plus sévères, peuvent se cacher derrière une bonne réponse, si nous en restons à l’échange verbal. Il est donc primordial d’aller, en complément du mode oral, vers un mode écrit pour lequel l’organisation d’un écrit sera abordée.

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Figure n°39 Représentation du risque de désorganisation de la langue écrite dans un travail de conscience phonique axée sur un mode oral

Notes
128.

GOMBERT Jean Emile « Le développement métalinguistique », Op. Cit., page 36.

129.

GOMBERT Jean Emile « Le développement métalinguistique », Op. Cit., page 37.