Partie 4
De la conscience phonographique à l’enseignement du « lire-écrire »:
vers une orientation systémique et développementale de la découverte

Cette quatrième partie pourrait, de prime abord, être contestée du point de vue de son existence. En effet, notre thèse a atteint désormais un objectif primordial, celui de marquer l’émergence d’un concept inédit, la conscience phonographique. Après avoir défini ce concept et précisé ses caractéristiques, après l’avoir positionné dans un paysage théorique et montré des activités qui lui sont rattachées, il nous revient désormais d’aller au-delà. Il apparaît nécessaire et même indispensable d’ancrer le concept de conscience phonographique dans une perspective pédagogique renouvelée. Nettement, il nous faut installer ce concept sur le contexte spécifique de l’apprentissage du « lire-écrire ». Cette perspective veut se confronter à un enseignement qui se refuserait à évoluer, agissant en permanence dans la reproduction des mêmes principes. Comment ignorer les changements, pour le professionnel de l’éducation, que sous-tendent ces idées de « prise de conscience » pour l’apprenant? Comment laisser croire qu’il suffirait d’introduire ici et là les activités présentées dans cette thèse, sans rien modifier de notre pratique et penser, à tort, un renouveau de notre pédagogie ? Si nous avons défendu l’existence de la conscience phonographique pour elle-même, il convient dès à présent de la penser dans un environnement plus large, dans une conception inédite de la découverte du « lire-écrire ». Notre réflexion déborde le cadre restrictif que nous impose la défense d’un seul concept ; elle se fixe maintenant sur l’enseignement du « lire-écrire » afin qu’il soit « revisité ».

Agir sur la notion de conscience phonographique ne se limite donc pas à quelques exercices qui seraient introduits dans l’enseignement du « lire-écrire ». Ce parti pris serait une sorte de détournement, un saupoudrage néfaste pour l’apprenant et illusoire pour le praticien. Le risque est pourtant grand, si nous n’allons pas plus loin que la simple manifestation de la conscience phonographique, de voir l’enseignant « agrémenter » sa pédagogie par quelques activités inédites. Pourtant, de la même façon qu’il existe une conscience phonographique de la langue, héritée de la conscience phonique, existe-t-il d’autres prises de conscience, indispensables à la découverte et centrées sur des conceptions différentes de la langue ? A cet égard, nous montrerons la participation de trois « consciences » sur la langue : la conscience phonique, la conscience graphique et la conscience globale. Elles correspondent à trois approches distinctes et complémentaires de la langue. Dans cette présentation, il sera important de situer la conscience phonographique et surtout de montrer en quoi ces « consciences » tentent de répondre à une sorte d’équilibre au service de l’apprentissage.

Dans la mesure où cette partie enclenche une réflexion sur l’apprentissage du « lire-écrire », nous nous interrogerons sur la notion de difficulté, à la lumière des trois regards sur la langue que nous avons appelés « prises de conscience ». La difficulté d’apprentissage serait, non pas l’expression d’un manque de compétences comme cela est si souvent énoncé, mais elle manifesterait un déséquilibre entre ces trois prises de conscience, phonique, graphique et globale, une forme de sur-investissement d’une approche au détriment des deux autres. La faiblesse dans le « lire-écrire » deviendrait paradoxalement un « trop plein » de compétences dans une orientation de la langue, une découverte partielle et désorganisée de ce savoir.

En définitive, la conscience phonographique s’inscrit dans une configuration plus complexe de la découverte du « lire-écrire » où sont associées les multiples dimensions de la langue et les différentes étapes de son appropriation. Nous avançons pour cela l’idée d’une approche systémique et développementale du «  lire-écrire » dans laquelle seraient prises en compte trois variables distinctes : les spécificités de l’objet d’apprentissage (la langue), la singularité de l’individu qui entame l’apprentissage avec déjà une expérience de la langue (et donc des acquis) et la diversité du groupe d’élèves qui n’offrent pas la même situation à l’égard de la langue. A ce jour, cette position pédagogique inédite n’a pas encore la valeur scientifique qu’un dispositif expérimental pourrait enrichir. Nos propos, dans cette dernière partie, sont d’abord ceux d’un pédagogue en questionnement qui s’inscrit dans la mise en oeuvre de nouvelles recherches.