0111.3. La langue s’apparente à une mosaïque de conceptions

Il convient d’admettre le caractère alphabétique de la langue qui comporte, comme le souligne Nina Catach, 80 % de correspondances entre l’oral et l’écrit et non 100%. Le filtre linguistique, dont il a été question en début de cette thèse, se retrouve pleinement dans une conception plurielle de la langue. L’élève ne doit pas se contenter d’appliquer une approche exclusivement phonétique ; de son côté, l’enseignant ne peut pas défendre cette unique entrée dans l’apprentissage de la langue, dès lors qu’il a pleinement conscience d’une réalité systémique. Bon nombre d’élèves, respectant méticuleusement la loi phonétique de la langue, inculquée par un enseignement très centré sur les relations phonèmes-graphèmes, auront les plus grandes difficultés à s’ouvrir sur un autre système, qu’il soit orthographique ou qu’il soit de nature sémantique. Ils ne comprendront pas, en vertu de cette loi, que des éléments « muets » (qu’ils n’entendent pas) doivent s’écrire et que des données sonores (qu’ils entendent) restent sans transcription. Ils n’accéderont pas aisément à un changement de conception à l’égard de la langue alors qu’ils se sont entraînés, pendant de longues années, à appliquer un système qui donnait satisfaction à tout le monde. En définitive, ces élèves ne perçoivent qu’une traduction phonétique qui, au fur et à mesure de leur scolarité, les enferme progressivement. Comme si une rigidité venait à se manifester dans l’esprit des apprenants, ils ne semblent plus ouverts, ensuite, à une dimension « mosaïque » de la langue qui sollicite une flexibilité de l’activité mentale.

La langue française, définie comme une langue alphabétique, signifie que l’écrit n’est pas la totale transcription de l’oral. Le voie exclusivement phonétique, appréhendée comme un accès simplifié de la découverte, constitue en fait pour le débutant lecteur-scripteur un piège véritablement lourd de conséquences. Il ne met pas en oeuvre un esprit de vigilance entre l’oral et l’écrit, ne perçoit pas les concepts spécifiques de l’oral et de l’écrit, ne développe pas d’opérations cognitives autres que celle qui consiste à n’écrire que ce qu’il entend.

Dans l’exercice sur les éléphants, certains élèves déploieront toute leur énergie à analyser les sons et à rechercher une correspondance plausible à la traduction scripturale. Ils pourront écrire alors, dans le meilleur des cas, « les zéléfan » avec la certitude qu’ils écrivent correctement les mots.

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Figure n°102Manifestation d’une conception systémique de la langue

En définitive, sur l’état des lieux des conceptions de la langue, c’est bien une conception phonétique qui s’impose largement et à tort chez les enseignants. Par souci de simplification, tout est misé sur les relations phonème-graphème alors que la langue, de nature alphabétique, combine des fonctionnements multiples. Notre position consiste à développer l’idée que l’enseignement du « lire-écrire » doit épouser la nature, les caractéristiques et les structures même de la langue de telle sorte que l’apprentissage, chez le débutant lecteur scripteur, prenne des voies cohérentes au regard de ce savoir.