3. Circularité et développement de l’approche systémique

Les critiques à l’encontre du modèle développemental de Frith sont celles d’une organisation trop morcelée de la découverte de la langue, peu en cohérence avec la nature de l’objet d’apprentissage. Pourtant, la notion de développement de la découverte, c’est-à-dire d’une intégration progressive de la langue reste, du point du vue de l’apprenant, comme une perspective crédible. La grande différence, à propos de ce développement, consiste à ne plus le situer sur les étapes conceptuelles de la langue mais sur une recherche de liens entre les trois réalités de la langue, phonique, graphique et globale. Comme s’il s’agissait de conserver à la langue son intégrité et sa spécificité, l’apprentissage articulera, dès le départ, la coexistence des 3 approches sans considérer l’une comme prioritaire par rapport à une autre. Dans ce dispositif de circularité, une première étape, dite de prise de conscience, visera à sensibiliser l’apprenant débutant sur l’existence des 3 réalités phonique, graphique et globale de la langue. La seconde étape, marquera le dépassement de ces 3 prises de conscience par l’accumulation de compétences sur chacune des approches. Il ne suffit pas que l’élève prenne conscience de la réalité phonique, il faut aussi qu’il apprenne comment s’écrivent les nombreux phonèmes de la langue.

Figure n°105Représentation de l’orientation systémique de l’apprentissage du «  lire-écrire » basée sur 3 approches et 2 étapes de développement

Un autre exemple peut être pris sur l’approche graphique : la prise de conscience d’une réalité alphabétique, d’une forme de traçabilité du langage, ne permettra pas de mettre en mots ses propres textes. Il sera nécessaire de découvrir l’organisation d’un texte écrit et les multiples conventions. Enfin, sur l’approche globale, le fait d’avoir perçu une dimension de sens dans le langage, s’enrichira d’une mémorisation de structures de phrases de plus en plus complexes. Nous appellerons la première étape, celle qui correspond aux prises de conscience, l’étape 1 de la compréhension ; la seconde étape qui accumule les savoirs sur chacune des approches se nommera l’étape 2 de la mémorisation.

L’étape 1 de la compréhension signifie que le débutant lecteur-scripteur découvre toutes les réalités de la langue avant que l’étape 2 les enrichisse quantitativement par une mémorisation de connaissances. L’orientation systémique de l’apprentissage du « lire-écrire » défend la nécessité de comprendre d’abord chaque aspect de la langue pour mieux apprendre l’ensemble ensuite. Elle s’oppose en fait à une conception qui tendrait à installer d’abord l’outil avec le projet l’appréhender ultérieurement. Avec cette orientation systémique, l’étape 1 correspond à une étape qualitative tandis que l’étape 2 s’apparenterait à une étape quantitative.

Figure n°106 Combinaison des 3 approches phonique, graphique, globale selon deux étapes successives dites de compréhension (qualitative) et de mémorisation (quantitative)

Cette conception de la découverte du « lire-écrire » s’accompagne de bouleversements importants dans les pratiques pédagogiques. Elle brise l’organisation actuelle de l’enseignement du « lire-écrire » plus axée sur un découpage de l’objet d’apprentissage que sur les étapes cognitives du sujet apprenant. En plus de ce changement de perspective sur l’acte d’enseigner, l’approche systémique modifie la manière d’appréhender la difficulté dans le « lire-écrire ». Une défaillance dans ce domaine ne correspondrait plus à une liste de compétences non maîtrisées, à une sorte d’inventaires des manques à combler ; une lacune serait l’expression d’un déséquilibre entre les 3 approches, phonique, graphique et globale et (ou) entre les deux phases successives de la découverte, que sont l’étape de la compréhension et l’étape de la mémorisation.