2.2 La dysharmonie conceptuelle de la découverte

Si la précédente dysharmonie manifeste l’existence d’une opération cognitive dominante, cette seconde dysharmonie exprime un déséquilibre de la connaissance, conséquence d’une priorité accordée à un versant seulement. La langue s’apparente à un savoir qui ne serait partiellement appréhendé que du point de vue du contenu. Rappelons-nous les dimensions essentielles qui composent la langue ; elles sont d’une part phonique avec une réalité sonore, d’autre part scripturale avec une conception graphique et encore globale avec une perspective de sens. Ces trois dimensions sont des constituants indivisibles de l’objet (la langue) au point de considérer alors la dysharmonie conceptuelle de la découverte comme la manifestation d’une centration accordée à l’une seulement. Indépendamment de l’acte de compréhension ou de mémorisation, les compétences accumulées par l’enfant seront, en conséquence, à dominante phonique, scripturale ou globale. Elles aboutiront, en définitive, à l’installation de trois profils de lecteur-scripteur :

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Figure n°115Trois formes de dysharmonie conceptuelle de la découverte

Un point essentiel et probablement polémique consiste à penser que ces dysharmonies ne sont pas totalement étrangères aux dispositifs pédagogiques installées dans la plupart des écoles. En effet, les étapes de la découverte, dévoilées par le modèle de Frith, témoignent d’un morcellement de l’apprentissage au cours de la scolarité. La langue n’est pas présentée dans son entité mais elle est simplifiée pour être rendue plus accessible à l’enfant. Bien loin de rendre l’apprentissage plus aisé, cette organisation pédagogique crée les conditions d’un surinvestissement de l’enfant sur une seule dimension. Si, de surcroît, cette dimension correspond à une prédisposition de l’enfant ou si elle répond à des compétences que l’enfant a déjà accumulées sur la langue, le risque est grand de voir cet élève se fixer uniquement sur elle en ignorant, voire en refusant les autres.

L’organisation pédagogique, les spécificités de l’élève ne sont pas les seules variables à prendre en considération. L’environnement joue également un rôle considérable dans la manifestation d’une dysharmonie conceptuelle de la découverte. Les parents, et d’une façon générale le monde des adultes, expriment parfois une certaine satisfaction lorsque l’enfant commence à déchiffrer ou à écrire sur une feuille de papier ou encore à identifier automatiquement un mot. Ces encouragements offrent alors l’occasion à l’élève de poursuivre sur la même voie. S’il tâtonnait à déchiffrer alors, à partir de ce soutien, toute son énergie va se focaliser sur l’acte de déchiffrement. Il veut devenir un déchiffreur compétent ; ou bien, il souhaite être un bon photocopieur ; ou encore, il s’entraîne à apparaître comme un devineur performant. Autrement dit, la recherche de la performance, c’est-à-dire de la réussite en somme, se cristallise sur un seul versant conceptuel et l’enferme. Cette intention, généreuse et louable, joue paradoxalement contre lui dans la mesure où il devient de plus en plus aveugle et sourd aux autres réalités de la langue. Plus il investit une dimension de la langue, plus il rejette les autres. Comme s’il s’agissait d’une sorte de déni, la dysharmonie se creuse, s’accentue et entraîne l’élève vers des situations d’échec. Les compétences qu’il a acquises, parfois à force de volonté, restent parcellaires et ne lui permettent plus de surmonter tous les obstacles de la langue. Celle-ci évolue vers une plus grande complexité et sollicite une maîtrise composite que l’élève ne possède pas.