2.3 La double dysharmonie, développementale et conceptuelle

Nous avons séparé, dans un premier temps, la dysharmonie développementale de l’apprentissage de la dysharmonie conceptuelle de la découverte car elles recouvrent d’abord des rapports spécifiques à un même savoir. En ce sens, leurs manifestations restent circonscrites dès lors que la période d’apprentissage considérée se situe en cycle 2, de la grande section au cours élémentaire 1ère année. La première dysharmonie (développementale) souligne la domination négative de la mémorisation sur la compréhension et la seconde (conceptuelle) témoigne de l’hégémonie d’une entrée, soit phonique, graphique ou globale, sur les deux autres. Il nous faut mentionner maintenant l’éventualité d’une double dysharmonie, autrement dit l’existence de deux déséquilibres cumulés. Il y aurait alors l’utilisation quasi exclusive d’une opération cognitive (la mémorisation) et le recours systématique à une seule entrée conceptuelle.

Les compétences de l’élève, dévoilées lors d’une évaluation, marqueraient une forte priorité accordée à une voie de découverte et, en plus, la majorité de ces compétences se situerait nettement sur le terrain de la mémorisation. Cette situation se rencontre fréquemment chez les élèves de cycle 3, en difficulté dans le « lire-écrire », qui ont poursuivi une scolarité particulièrement chaotique en cycle 2. Souvent, les mesures de soutien n’ont guère été efficaces ; parfois, une aide pédagogique a succédé à une prise en charge orthophonique, qui, elle-même, s’est déroulée en complément d’une autre rééducation. Au bout du compte, ces élèves manifestent une grande aversion pour toutes les activités du « lire-écrire ». Ils frisent une situation de détresse ou un comportement d’abandon. Leurs faiblesses s’expriment au quotidien : l’activité de production d’un écrit et l’accès au sens complexe d’un texte restent très largement lacunaires.

La double dysharmonie, conceptuelle et développementale, montre une certaine historicité de la difficulté ; son empreinte s’est accentuée d’année en année au point de constituer un noyau implanté, voire toléré par l’élève lui-même. La résolution de la difficulté se heurte alors à l’incrédulité et au manque de confiance de l’enfant de cycle 3 qui donne peu de crédit à l’enseignant qui tente de l’aider. Le décor de l’échec est installé et, par certains côtés, ce constat rassure l’élève qui ne veut plus travailler sur des contenus qu’il ne peut maîtriser. Par ailleurs, les exercices du cycle 3 exigent désormais une connaissance élargie de la langue ; pour réussir, il convient absolument de s’appuyer sur les réalités phonique, graphique ou scripturale. L’exigence cognitive de chaque exercice ne permet pas d’utiliser une seule opération cognitive comme la mémorisation ; il faut aussi bien faire appel à sa mémoire que développer une démarche de compréhension. Rien n’est plus isolé comme c’était le cas auparavant.

La double dysharmonie questionne également les pratiques d’enseignement. Au-delà de l’accusation gratuite sur l’élève et son manque d’intelligence, notre système scolaire se doit de relever le défi de ces élèves en très grande difficulté dans le « lire-écrire ». Poursuivre le programme d’enseignement sur un cursus scolaire sans tenter la moindre action stratégique n’offre que peu d’espoir d’amélioration. L’apprentissage systémique et développemental du « lire-écrire » tente de poser l’enseignement autrement, sur un trépied où coexistent le sujet apprenant et ses spécificités, l’objet d’apprentissage et ses réalités et le groupe d’élèves et sa diversité. Il soulève, et c’est une limite importante, la nécessité de re-visiter les programmes d’enseignement et les dispositifs pédagogiques. Les premiers ont à construire une plus grande cohérence dans les accès possibles à un savoir et les seconds doivent s’accompagner de suffisamment de souplesse afin de permettre à un réapprentissage possible, y compris à un moment inattendu de la scolarité.