On expose tout d’abord dans cette section le modèle fondateur de Kandel et Lazear (1992), qui occupe un rôle central dans la littérature sur la pression des pairs dans le cadre d’une équipe de production. On présente ensuite les modèles de Dong et Dow (1993) et de Barron et Gerde (1997).
Kandel et Lazear (1992) sont les premiers à modéliser la pression des pairs dans le cadre d’une équipe de travail. Ils modélisent la pression des pairs appliquée à un partenariat, comme une alternative au schéma d’incitation d’Holmström (1982). Les partenariats diffèrent des organisations hiérarchiques dans la mesure où les membres de l’équipe sont tous créanciers résiduels : ils partagent les fortunes et infortunes de l’entreprise sans pouvoir déléguer le risque à une tierce personne. Les agents sont supposés identiques et neutres vis-à-vis du risque. Chaque agent i,i=(1,..,N) fournit un effort de production noté e i ,e i [0,1] afin de réaliser un output f(e 1 ,…,e N ) tel que f 1 >0 3 et f 11 <0, non séparable en effort de production. Une fois réalisé, l’output est partagé entre les agents et chaque agent reçoit f(e)/N. Supposons qu’en plus de son activité de production, chaque agent fournit un effort de contrôle de ses pairs. On note a i , l’effort de contrôle de l’agent i. Chaque agent i subit alors une désutilité C(e i ,a i ) àfournir un effort de production mais également de contrôle de ses pairs. Cette fonction de coût est croissante et convexe (C 1 >0, C 11 >0, C 2 >0 et C 22 >0).
La fonction d’utilité de chaque agent i s’écrit de la façon suivante :
Le premier terme de la fonction d’utilité représente la part d’output reçue par l’agent i. Le deuxième terme traduit la désutilité pour l’agent à exercer un effort de production et de contrôle. Enfin le dernier terme représente la pression que subit l’agent i de la part de ses pairs.
Le jeu se déroule de la façon suivante. Dans un premier temps, les agents décident de leur effort de contrôle. Ils choisissent dans un deuxième temps leur effort de production. Résolvons le jeu à rebours. En dernière étape, les agents décident de leur effort de production afin de maximiser son utilité tel que :
Soit la condition de premier ordre :
s.c.
L’effort de contrôle optimal de l’agent i est alors déterminé à partir de la condition de premier ordre suivante 5 :
La démarche à suivre est explicitée ci-dessous : |
On sait que la fonction de choix optimal x(a) doit satisfaire la condition : |
En différenciant les deux côtés de cette identité, on obtient |
On cherche dx(a)/da : |
Au regard de la condition du second ordre, il apparaît que le dénominateur de cette expression est négatif. D’où, en tenant compte du signe « moins » précédant la fraction : |
En conséquence, le signe de la dérivée du choix optimal par rapport au paramètre ne dépend que du signe de la dérivée partielle croisée de la fonction-objectif par rapport à x et a. |
Kandel et Lazear (1992) soulignent l’importance de la désapprobation des pairs. Ils distinguent à ce titre la pression externe (la honte) de la pression interne (la culpabilité). La distinction entre honte et culpabilité dépend de l’observation des efforts. Alors que la honte est le fruit de l’observation de l’effort de production d’un agent par ses pairs (c’est à dire que a j ,…,a N > 0), la culpabilité ne nécessite pas d’effort de contrôle par les pairs (a j ,…,a N =0) mais émerge d’un processus d’internalisation du regard. Les mécanismes psychologiques qui fondent l’internalisation d’une norme sont complexes. L’internalisation suppose en effet que les agents soient engagés dans des relations de longue durée et nécessite des investissements particuliers au préalable 6 . L’internalisation émergerait en fait de trois sources principales : les parents (transmission verticale), les influences institutionnelles (transmission oblique) et enfin les pairs (transmission horizontale) (Cavalli-Sforza et Feldman, 1981 ; Boyd et Richerson, 1985) (Voir annexe B).
Le modèle de Kandel et Lazear a le mérite de montrer d’une part l’importance des mécanismes de contrôle par les pairs comme une alternative possible aux schémas d’incitations classiques ; d’autre part, il met en en exergue le rôle fondamental joué par les sentiments de désapprobation engendrés par la seule observation des pairs.
f1 représente la dérivée première vis à vis de la première variable de la fonction f(.).
Il y a une erreur typographique dans Kandel et Lazear (1992) sur le signe de ej/ai (équation (16)).
Parson (1954) montre l’importance des sentiments de culpabilité dans l’armée américaine. Il observe que les militaires américains dépensent beaucoup de temps et d’argent à instaurer un « esprit d’équipe » dans leurs rangs. L’objectif souhaité est d’inculquer un certain niveau de culpabilité aux soldats qui se trouvent seuls en mission. Parson prend l’exemple d’un pilote de chasse. Lorsque le soldat est seul dans son avion, le courage du pilote est alors difficile à appréhender. Le sentiment de culpabilité donc être suffisamment fort pour ne pas l’inciter à dévier de ses objectifs. Selon Parson, l’internalisation des standards à travers l’esprit d’équipe et autres agents de socialisation devrait conduire au développement d’un système interne de sanction équivalent au système externe et, par implication, à l’adoption de standards de comportement.