2.2. Le contrôle mutuel dans une équipe de travail : Dong et Dow (1993)

Dans le prolongement de l’analyse de Kandel et Lazear (1992), Dong et Dow (1993) étudient l’efficacité du contrôle mutuel et son implication dans le système agricole chinois entre 1970 et 1976. L’organisation du travail en équipe dans les fermes collectives rendant difficile le contrôle des efforts individuels, le seul moyen d’accroître le niveau d’effort des membres de l’équipe consiste à mettre en place un système de contrôle mutuel (Lin, 1990). L’analyse de Dong et Dow (1993) se distingue du modèle de Kandel et Lazear (1992) par la nature de la sanction imposée à ceux qui ne coopèrent pas. Contrairement à Kandel et Lazear, la sanction n’est pas de nature morale mais de nature monétaire. En cas de détection d’une déviation, la sanction est appliquée automatiquement et se traduit par le prélèvement d’une partie de l’output.

Dong et Dow modélisent le contrôle mutuel dans une équipe de production. Ils considèrent une équipe de production composée de n travailleurs identiques et neutres vis à vis du risque. Les agents doivent prendre deux décisions successives. Ils décident tout d’abord de répartir leur temps entre activité de production et activité de contrôle. Ainsi chaque travailleur utilise une partie [0,1] de son temps quotidien à des activités de production et (1- ) à des activités de contrôle. Les agents décident ensuite de leur effort de production. Soit e i 0,1, l’effort de production de l’agent i. Chaque agent ne peut être contrôlé que par un seul autre membre de l’équipe. On suppose qu’un travailleur qui fournit un effort positif (e i =1) n’est pas puni. Au contraire, si un travailleur i tire au flanc (e i =0), alors la probabilité de détection de son effort dépend de l’effort du travailleur j qui l’évalue. Si le travailleur j tire également au flanc (e j =0) alors j ne peut alors pas apporter de preuve contre i. Le travailleur i ne sera donc pas puni. Au contraire, si j travaille (e j =1), la probabilité ( ) que i soit puni dépend du temps passé au contrôle et donc inversement du temps passé à la production ( ’( )<0). Par ailleurs, personne n’est puni si le temps de contrôle est nul((1)=0 :). La fonction d’utilité de chaque travailleur i s’écrit de la façon suivante :

v>0 traduit la désutilité de l’agent i à l’effort de production. y i est la part du revenu de l’équipe que reçoit chaque agent i. Elle s’écrit sous la forme suivante :

Le premier terme de l’identité (2) représente la part (0,1] du revenu net, distribuée à l’agent i selon ses performances de travail tandis que le deuxième terme représentela part 1- du revenu distribuée à l’agent i, indépendamment de ses performances et qui satisfait des considérations sociales. D0 représente les coûts associés à l’utilisation d’inputs autres que le travail ainsi que les coûts fixes. y et d sont définis respectivement par : y Y/n et d D/n. Enfin Y représente le revenu global brut de l’équipe défini de la façon suivante :

Y est fonction des inputs (x), autres que le facteur travail, et des efforts de production des n agents

Le jeu se déroule de la façon suivante : dans un premier temps, chaque travailleur décide de la répartition de son temps entre activité de contrôle et activité de production ; dans un deuxième temps, les travailleurs décident de leur effort de production. Résolvons le jeu à rebours. Pour cela, considérons en dernière étape du jeu, les décisions des agents concernant leur effort de production. On montre qu’à l’équilibre, personne n’est incité à dévier de la stratégie qui consiste à fournir l’effort de production le plus élevé (e i =1). Pour cela on vérifie qu’aucun travailleur n’est incité à dévier de la stratégie d’équilibre.

Encadré I.2 Définition de l’équilibre de Nash
Dans un jeu G=S1,…,Sn ;u1,…,un, de forme normale avec n joueurs, les stratégies (s1*,…,sn*) forment un équilibre de Nash, si pour chaque joueur i, si* est la meilleur réponse du joueur i aux stratégies (s1*,…, si-1*, si+1*,…,sn*) spécifiées des n-1 autres joueurs:
 
 
pour chaque stratégie possible si dans Si ; c’est à dire que si * soit solution de :
 
 

y n est le revenu par agent quand les n membres coopèrent. Si i dévie de l’équilibre, et choisit e i =0, alors le fait que e j =1 pour tout ji, implique que i est contrôlé par un agent qui ne tire pas au flanc et sera donc sanctionné. D’où :

y n-1 est le revenu par agent quand (n-1) membres travaillent. L’agent i ne subit pas la désutilité de l’effort de production mais il est pénalisé par ses pairs et ne reçoit pas la totalité de son revenu. Coopérer à la production est un équilibre de Nash si :

Ce qui revient après calcul à la condition suivante :

B( ) représente le gain total pour l’agent i à fournir un effort positif. Le terme (y n -y n-1 ), traduit l’augmentation du revenu par agent résultant de l’effort de l’agent i. Le deuxième terme représente l’incitation pour l’agent i à fournir plus d’effort afin d’éviter la pénalité en cas de déviation. Donc si la condition (7) est vérifiée, alors chaque agent est incité à fournir l’effort le plus élevé possible.

En première étape du jeu, l’équipe décide de l’allocation du temps entre contrôle et production sous la contrainte d’effort de production issue de la condition (7). L’allocation du temps entre effort de contrôle et de production se résume au choix de  qui maximise l’utilité des agents sous la contrainte du choix d’effort de production optimal. Soit :

L’analyse de Dong et Dow (1993) apporte un éclairage intéressant sur l’étude de la pression des pairs car elle met en exergue l’émergence de la pression des pairs comme le résultat d’un arbitrage entre le temps alloué aux activités de production et aux activités de contrôle mutuel. Dong et Dow estiment ainsi qu’environ 10 à 20% du temps total de travail d’un membre de l’équipe est utilisé à des fins de contrôle mutuel et non à des fins directement productives.