2.3. Le contrôle mutuel dans une relation d’agence : Barron et Gjerde (1997) 

Barron et Gjerde (1997) s’inspirent du modèle de Kandel et Lazear (1992) mais privilégient le cadre d’une relation d’agence. Les auteurs considèrent la structure composée d’un principal et de deux agents neutres vis à vis du risque 7 suivante :

Graphique 1.1 : Contrôle mutuel dans une relation d’agence

Les agents fournissent un effort de production (respectivement e 1 et e 2 ) afin de produire un output noté f(e 1 ,e 2 ) tel que f 1 >0, f 2 >0, f 11 <0 et f 22 <0. Le principal spécifie la rémunération des agents de la façon suivante:

où  représente une fraction de l’output total distribuée à chaque agent et une somme forfaitaire globale versée au principal par les agents. Le profit du principal est alors déterminé par :

En plus de leur effort de production, les agents exercent un effort de contrôle de leurs pairs. La désutilité pour chaque agent i (i=1,2) à fournir un effort de production et un effort de contrôle est notée c(e i ,a i ) telle que c 1 >0, c 11 >0, c 2 >0, c 22 >0 et enfin c 12 >0.

Barron et Gjerde définissent l’environnement de la pression des pairs comme l’ensemble des éléments suivants : la norme de production t établie au sein du groupe par les agents eux-mêmes ; les efforts de contrôle mutuel des agents (respectivement a 1 et a 2 ) afin de s’assurer de l’effort de production de ses pairs ; enfin les sanctions S imposées à ceux dont l’effort de production observé est inférieur à la norme de production. Afin de simplifier l’analyse de la pression des pairs, les auteurs considèrent comme données la norme d’effort t ainsi que les sanctions S qui sont imposées automatiquement en cas d’observation d’une déviation, c’est à dire lorsque l’effort de production descend en dessous de t. La pression des pairs se résume donc au choix d’effort de contrôle des agents. Chaque agent j (j=1,2) doit décider de son effort de contrôle afin d’obtenir un signal sur l’effort de production de l’agent i. On note z j le signal reçu par l’agent j concernant l’effort de production de l’agent i tel que z j = (e i )+ j . j est une variable aléatoire de moyenne nulle et de variance j . (e i ) est fonction croissante de l’effort de production de l’agent i, ’>0 et ’’<0. La précision du signal reçu par l’agent j, 1/ j s’accroît lorsque a ji augmente. Une sanction est alors automatiquement imposée si z j <t et l’agent i peut alors s’attendre à subir la pression des pairs P donnée par la fonction suivante :

Il existe un gain pour l’agent i à accroître son effort de production afin de réduire la pression des pairs qui dépend positivement de l’effort de contrôle de l’agent j (P 12 <0). Soit :

Soit la fonction d’utilité de chaque agent, séparable en output, en coût d’effort et en pression des pairs :

Le jeu séquentiel proposé par Barron et Gjerde se déroule en 3 étapes. Dans une première étape, le principal choisit le schéma de rémunération, ce qui se résume par le choix de la part  du profit attribuée aux agents ; dans une deuxième étape, les agents choisissent simultanément leur effort de contrôle (respectivement a 1 et a 2 ). Dans une troisième étape, les agents choisissent leur niveau d’effort de production (e 1 et e 2 ) en considérant comme donnés le schéma de rémunération et l’environnement de pression des pairs. A la fin de cette étape, les agents sont rémunérés en fonction du paramètre choisi, subissent les coûts inhérents aux choix de leur effort de production et de contrôle et ressentent la pression des pairs. Les auteurs procèdent par induction à rebours afin de résoudre ce jeu :

En troisième étape, les agents décident de leur effort de production qui maximise leur

utilité. Soit le programme de maximisation :

Soit la condition de premier ordre définissant le choix d’effort optimal de chaque agent i:

A partir de la condition de premier ordre (6), on détermine les efforts de production optimaux de chaque agent, respectivement e 1 =g(a 1 ,a 2 , ) et e 2 =h(a 1 ,a 2 , ), équilibre de Nash tels que :

g 1 , h2, g 2 et h 1 sont déterminés par la façon présentée dans les encadrés 3 et 4.

Encadré I. 3 :statique comparative : cas avec plusieurs variables
 
Supposons qu’on cherche à déterminer de quelle manière les fonctions de choix optimaux réagissent à des variations du paramètre a. On sait que les choix optimaux doivent satisfaire les conditions du premier ordre :
 
 
En différentiant ces deux expressions par rapport à a on obtient :
 
Il est plus commode d’écrire ces conditions sous la forme matricielle
 
Si la matrice de gauche est inversible, on peut résoudre ce système d’équations pour obtenir :
 
Plutôt que d’inverser la matrice, on peut également résoudre ce système par la règle de Cramer afin de trouver x1/a et x2/a. Ainsi pour trouver x1/a par exemple en appliquant la règle de Cramer, on exprime cette dérivée sous la forme du ratio de deux déterminants :
 
En vertu de la condition du second ordre d’un problème de maximisation, la matrice au dénominateur est semi-finie négative. Son déterminant est négatif. En conséquence, le signe de x1/a est simplement le négatif du signe du déterminant du numérateur.
Encadré I.4 :statique comparative : cas avec plusieurs variables et plusieurs agents
Supposons qu’on cherche à déterminer de quelle manière les fonctions de choix optimaux réagissent à des variations du paramètre a. On sait que les choix optimaux doivent satisfaire les conditions du premier ordre :
 
 
En différentiant ces deux expressions par rapport à a on obtient :
 
En appliquant la règle de Cramer, on obtient le système suivant:
 
le signe du dénominateur est déterminé par la condition de stabilité donnée par :
 
 

Il existe une ambiguïté sur le signe de g1 et de g2. Cette ambiguïté dépend notamment du signe de f’’ 12. Lorsque f’’ 12 <0, alors l’ambiguïté est levée : g 1 <0 et g 2 >0. Lorsque les efforts de production sont complémentaires (f’’ 12 >0), alors g 1 <0 et g 2 >0 pour des valeurs de c 12 suffisamment faibles.

Dans la deuxième étape du jeu, les agents décident de leur effort de contrôle. Les auteurs considèrent deux possibilités selon que le principal spécifie ou non le niveau d’effort de contrôle mutuel. Etudions tout d’abord le cas où la pression des pairs fait l’objet d’un contrat entre le principal et les agents. Le principal spécifie alors les efforts de contrôle de chaque agent (a 1 et a2) ainsi que le schéma de répartition de l’output entre le principal et les agents (le choix de ). Le problème du principal s’écrit de la façon suivante :

La première contrainte traduit les conditions d’équilibre relatives au choix des efforts de production des agents. La deuxième contrainte est la contrainte de participation. Enfin la dernière contrainte impose un niveau d’effort de contrôle positif ou nul. Soient les conditions de premier ordre respectivement par rapport à , a 1 et a 2  :

Lorsque la pression des pairs ne fait pas l’objet d’un contrat, chaque agent décide de son effort de contrôle qui maximise son utilité tel que :

La première contrainte traduit les conditions d’équilibre de Nash relatives au choix des efforts de production des agents. La deuxième contrainte impose un niveau d’effort de contrôle positif ou nul. Les niveaux de contrôle optimaux de chaque agent i, i=1,2 sont donnés par les conditions de premier ordre suivantes :

En première étape du jeu, le principal choisit le paramètre de partage des profits. Le programme de maximisation sous contraintes du principal s’écrit de la façon suivante:

sous les contraintes :

Les deux contraintes définissent les conditions d’équilibre de Nash relatives aux choix d’effort de contrôle des deux agents, préalables à leur choix d’effort de production. Soit la condition de premier ordre par rapport à  :

L’apport majeur du modèle de Barron et Gjede est de montrer que le principal peut bénéficier des effets incitatifs de la pression des pairs lorsque celle-ci ne fait pas l’objet d’un contrat mais également qu’il peut l’influencer à travers le choix d’un schéma de rémunération optimal.

La présentation des modèles de pression des pairs a mis en évidence les résultats suivants. Il apparaît que la pression des pairs incite les agents à fournir davantage d’effort de production. L’exercice de la pression des pairs repose alors sur un arbitrage entre effort de production et effort de contrôle mutuel. Enfin, il apparaît que le principal peut influencer les décisions de contrôle mutuel des agents par l’intermédiaire d’un schéma de rémunération approprié. Ces modèles de pression des pairs suscitent toutefois un certain nombre d’interrogations. Ils conduisent notamment à s’interroger sur l’existence de limites à l’efficacité de la pression des pairs. En effet, alors que le contrôle mutuel incite les agents à fournir plus d’effort de production afin de ne pas subir la pression de leurs pairs, ne conduit-il pas ceux qui l’exercent à réduire leur propre activité productive ? On peut également s’interroger sur les conditions de l’exercice de la pression des pairs. En effet, les modèles de pression des pairs présentés dans cette section sont avant tout des modèles de contrôle mutuel dans la mesure où les décisions des agents portent uniquement sur l’effort de contrôle et que les sanctions sont appliquées automatiquement en cas de déviation. Or dans la réalité, les agents ne se contentent pas d’observer leurs pairs mais décident également des sanctions à imposer à ceux qui ne respectent pas les normes du groupe (Miller, 1992). Dans le cas où les décisions des agents portent sur les sanctions à imposer à d’éventuels passagers clandestins, les agents sont-ils toujours incités à discipliner leurs pairs? Les sections suivantes visent à répondre à ces interrogations.

Notes
7.

Les auteurs relâchent par la suite l’hypothèse de neutralité vis-à-vis du risque et montrent que les implications en terme d’efficacité de la pression des pairs ne sont pas fondamentalement changées.