4.3. La pression des pairs par les sanctions

On a supposé jusqu’à présent que les sanctions étaient imposées automatiquement en cas de détection d’une déviation négative de la norme. On relâche ici cette hypothèse en considérant que les agents décident des sanctions à imposer à d’éventuels passagers clandestins. En effet, les agents ne se contentent généralement pas d’observer les efforts de leurs pairs mais décident également des sanctions à infliger aux comportements de passagers clandestins observés (Miller, 1992). Dès lors que les sanctions font l’objet d’une décision particulière de la part des agents, alors il convient d’associer un coût à la décision de sanctionner un pairs (Posner et Rasmusen, 1999). En effet, toute décision nécessite du temps et un effort généralement coûteux pour celui qui l’exerce 14 .

Considérons le jeu suivant : dans un premier temps, les agents décident simultanément de leur effort de production. Après avoir observé parfaitement et sans coût l’effort de production de l’autre agent, chaque agent décide de l’effort afin de sanctionner un éventuel passager clandestin. Le graphique 3 décrit le déroulement du jeu.

GraphiqueI.3. Les étapes du modèle de pression des pairs avec sanctions coûteuses

PROPOSITION 4: La pression des pairs est inexistante lorsque les décisions des agents portent sur les sanctions à imposer. Par conséquent, les agents adoptent un comportement opportuniste.

Afin de vérifier que la combinaison des stratégies qui consiste à ne pas coopérer à la production de l’output et à ne jamais sanctionner forme un équilibre parfait en sous jeu, procédons par induction à rebours. En t+1, les agents décident de la sanction qu’ils vont imposer à un agent déviant. Chaque agent i choisit le niveau de sanction qui maximise son utilité tel que :

Les conditions de premier ordre définissent les niveaux de sanction choisis par les agents 1 et 2. Notons p 12 ** et p 21 **, les niveaux de sanction optimaux nuls. Puisqu’il n’existe pas de gain à sanctionner et que cela est coûteux, les agents ne sont pas incités à sanctionner leurs pairs.

En première étape, les agents décident de l’effort de production. On note e i ** l’effort de production choisi par l’agent i. Puisque aucun agent n’est incité à sanctionner en deuxième étape du jeu, personne ne produit en première étape. En effet, les agents anticipent qu’ils ne seront jamais sanctionnés quelque soit leur effort de production. De ce fait, les deux joueurs adoptent un comportement opportuniste de passager clandestin. L’effort de production choisi par les agents en première étape est donc identique à celui choisi dans le modèle sans pression des pairs.

Donc lorsque l’on relâche l’hypothèse selon laquelle les sanctions sont imposées automatiquement, la pression des pairs ne peut pas apparaître. Dès lors que la menace de sanction n’est pas crédible, personne n’est incité à coopérer à la production de l’output.

Notes
14.

Un autre argument pour justifier du coût inhérent au fait de sanctionner consiste à mettre en évidence les conséquences directes ou indirectes de sanctionner ses pairs. Ainsi par exemple, Hirshleifer et Rasmusen (1989) ont montré que lorsque la sanction consiste à exclure un agent non coopératif du groupe, l’ostracisme pénalise l’ensemble du groupe et pas seulement ceux qui subissent les sanctions. En effet, l’exclusion implique la réduction de la taille du groupe ce qui est coûteux pour le groupe qui perd un ou plusieurs de ses membres. Il existe également un coût psychologique à sanctionner un pair. En effet, il peut être désagréable de sanctionner un individu avec qui on a des relations étroites. Il convient dès lors de distinguer les sanctions par les pairs des sanctions motivées par un esprit de vengeance. En effet, alors qu’il peut être désagréable de sanctionner les autres individus, certains individus peuvent ressentir au contraire une satisfaction personnelle à punir lorsque leur acte est motivé par un « esprit de vengeance ». On peut ainsi comparer cette réaction à la satisfaction que ressent une victime lorsque son agresseur est puni (Lindbeck, 1997).