2.1.2. Répétition et apprentissage

Une caractéristique des jeux de bien public répétés réside dans le fait que le niveau des contributions diminue avec la répétition (Isaac, Walker et Thomas, 1984 ; Isaac McCue et Plott, 1985 ; Isaac Walker et Williams, 1990). Isaac, Walker et Thomas (1984) ont réalisé une série d’expériences de bien public répété sur 10 périodes. Ils observent que le niveau de contribution moyen est environ de 40% de la dotation. Ils observent par ailleurs une grande hétérogénéité des résultats selon les groupes et la période du jeu. Alors qu’au début du jeu, les sujets contribuent assez largement au bien public, au fil des périodes, le niveau de contribution diminue et converge vers le passager clandestin en fin du jeu. Ainsi, le niveau des contributions décline dans le temps pour atteindre un niveau de 10 à 30% de la dotation initiale en fin de jeu. Andreoni (1988) ; Keser et Van Winden (1998) observent une décroissance similaire du niveau des contributions individuelles en jeu répété. Andreoni rapporte des contributions en début de jeu à environ 48% de la dotation initiale et à 12% de la dotation en dernière période. Keser et Van Winden, (1998) observent quant à eux que les sujets contribuent initialement à hauteur de 56% de leur dotation puis à environ 15% de leur dotation en dernière période. Le tableau 2 synthétise les résultats des expériences sur jeu de bien public répété.

Tableau II.2. Pourcentage de sujets qui adoptent un comportement de passager clandestin en dernière période d’un jeu répété de bien public.
Etudes Pays Taille du groupe (n) Retour d’invest. dans le bien public Nombre total de sujets % de passagers clandestins
Isaac et Walker 1988 a USA 4 et 10 0.3 42 83
Isaac etWalker 1988 b USA 4 et 10 0.75 42 57
Andreoni 1988 USA 5 0.5 70 54
Andreoni1995a USA 5 0.5 80 55
Andreoni1995b USA 5 0.5 80 66
Crozon 1995 USA 4 0.5 48 71
Croson 1996 USA 4 0.5 96 65
Keser et van Winden 1996 Holland 4 0.5 160 84
Ockenfels et Weiman 1996 Germany 5 0.33 200 89
Burlando et Hey 1997 UK,Italy 6 0.33 120 66
Falkinger, Fehr, Gachter et Winter-Ebner 1997 Switzerland 8 0.2 72 75
Falkinger, Fehr, Gachter et Winter-Ebner 1997 Switzerland 16 0.1 32 84
Nombre total de sujets et pourcentage de passagers clandestins 1042 73
Fehr et Schmidt, 1997

Sur l’ensemble des expériences de jeu de bien public répété, la contribution moyenne varie entre 40% et 60% de la dotation initiale lors des premières périodes du jeu. En dernière période, 73% des individus choisissent de ne pas contribuer au bien public et une grande majorité des sujets restants choisit un niveau de contribution très faible et proche de zéro. Le déclin considérable et particulièrement prononcé du niveau des contributions dans les dernières périodes du jeu caractérise donc les jeux répétés de bien public. Selon les termes de Stoecker (1983) et Selten et Stoecker (1986), ces observations peuvent être interprétées comme un comportement de fin de jeu.

Comment expliquer la diminution des niveaux de contribution dans un jeu répété ? Les expérimentalistes ont avancé deux explications possibles : les effets stratégiques et les effets de l’expérience. Isaac, Walker et Thomas (1984) ont testé l’effet de l’expérience sur les niveaux de contribution des sujets en comparant les comportements de contribution selon que les joueurs ont déjà participé ou pas au jeu. Ils observent que les sujets expérimentés contribuent moins que les sujets non expérimentés. Cependant, les sujets expérimentés continuent à contribuer un montant non nul au bien public. L’expérience n’est donc pas la seule explication. Andreoni (1988) a également testé les effets de l’expérience. Pour ce faire, il a réalisé l’expérimentation suivante : les sujets jouent tout d’abord 10 périodes d’un jeu de bien public. A la fin de ces 10 périodes, les sujets rejouent 10 nouvelles périodes dans les mêmes conditions. Le taux moyen de contribution au bien public en première période des 10 premières périodes est d’environ 50% et il diminue au cours du temps. Il n’apparaît pas de différence significative dans la seconde série d’expériences. De même, Palfrey et Prisbey (1993) n’observent aucune différence significative entre les niveaux de contributions des sujets expérimentés et ceux des sujets inexpérimentés.

Une autre explication possible à la décroissance du niveau des contributions individuelles est d’ordre stratégique et repose sur l’idée que les sujets réduisent leur propre contribution en réponse aux niveaux de contributions précédents des autres sujets de leur groupe (Kreps et al. ,1982 ; Keser et van Winden, 1996). Dans un jeu de bien public répété, les sujets potentiellement coopérateurs n’ont aucun moyen direct de discipliner ceux qui adoptent un comportement de passager clandestin. La seule réponse possible vis à vis d’un tel comportement consiste à adopter également un comportement de passager clandestin. Cela suppose toutefois que les sujets soient en interaction avec les mêmes joueurs dans toutes les périodes (traitement partenaire).

Donc dans un jeu de bien public répété sans opportunité de sanctionner les autres membres du groupe, la seule façon de discipliner les passagers clandestins consiste à adopter également un comportement de passager clandestin. Ce comportement conduit à la diminution progressive des niveaux de contribution et à la convergence vers le niveau de contribution prédit par la théorie. On peut alors s’interroger sur la possibilité de discipliner les autres membres du groupe sans avoir à réduire sa propre contribution.