4.2. Caractéristiques des comportements individuels de contribution

On s’intéresse dans cette sous-section à la relation existant entre les sanctions et les niveaux de contribution individuelle. Fehr et Gachter (2000) ont mis en évidence une relation positive entre le nombre de points reçus par un sujet et la déviation négative de sa contribution vis-à-vis de la contribution moyenne du groupe. Ainsi, les sujets sont d’autant plus sanctionnés que leur niveau de contribution est inférieur à la contribution moyenne des autres membres du groupe.

RESULTAT 4 : les sujets reçoivent des points de sanctions (monétaires ou non monétaires) si leur contribution est plus faible que la contribution moyenne du groupe.

Les graphiques 9, 10 et 11 montrent la relation entre le nombre de points de sanction reçus et la déviation en termes de contribution vis-à-vis de la contribution moyenne des autres membres du groupe pour les sessions MP, NP et NS. Les déviations vis-à-vis de la contribution moyenne apparaissent sur l’axe horizontal du graphique. L’axe vertical donne le nombre de points de sanction reçus. Le nombre au-dessus des barres correspond au nombre d’observations pour chaque intervalle.

Graphique II.9 : Points de sanction monétaire reçus pour une déviation vis à vis de la moyenne Traitement MP
Graphique II.10 : Points de sanction non monétaire reçus pour une déviation vis à vis de la moyenne Traitement NP (condition partenaire)
Graphique II.11 : Points de sanction non monétaires reçus pour une déviation vis-à-vis de la moyenne traitement NS (condition étranger)

Les graphiques 9, 10 et 11 montrent que pour les trois sessions (MP, NP et NS), toute déviation négative vis-à-vis de la moyenne est fortement sanctionnée par les autres joueurs. Ainsi, un joueur qui contribue entre 14 et 8 ECU de moins que la moyenne reçoit en moyenne 4.5 points de sanction monétaire et environ 25 points de sanction non monétaire (partenaire et étranger). A l’inverse, les contributions qui se rapprochent de la moyenne du groupe, c’est à dire dans l’intervalle [-2,2] sont peu sanctionnées (moins de 0.5 points de sanction monétaires). Les joueurs reçoivent environ 10 points de sanction non monétaire dans les sessions NP et environ 20 points de sanction non monétaires en session NS lorsque leur contribution se trouve dans l’intervalle [-2,2]. Lorsque les joueurs contribuent davantage que la moyenne, ils sont également sanctionnés par les autres membres du groupe, mais dans une moindre mesure qu’en cas de déviation négative. Ainsi un joueur qui contribue plus de 14 ECU que la moyenne du groupe ne reçoit aucun point de sanction dans les traitements MP et NS et moins de 15 ECU dans le traitement NP.

Nous avons étudié la régression suivante afin de tester la relation entre les points de sanction reçus par un sujet i et les déviations vis à vis de la contribution moyenne des autres membres du groupe:

La variable expliquée est le nombre de points que le joueur i reçoit du joueur j. Le coefficient traduit la relation entre le fait que le joueur j contribue moins que la moyenne et le nombre de points que i impose à j. 2 traduit à l’inverse le fait que j contribue plus que la moyenne. 3 traduit la relation entre le nombre de points reçus et la moyenne des autres membres du groupe. Le tableau 10 donne les estimations de la régression ci-dessus. Les variables explicatives sont respectivement : « Valeur absolue d’une déviation négative par rapport à la contribution moyenne», « Déviation positive par rapport à la contribution moyenne » et « Contribution moyenne du groupe ». La variable « valeur absolue d’une déviation négative par rapport à la contribution moyenne» est construite de la façon suivante : cette variable prend la valeur absolue de la déviation négative de la contribution d’un joueur i vis-à-vis de la contribution moyenne lorsque la contribution de i est inférieure à la contribution moyenne. A l’inverse, cette variable prend la valeur zéro lorsque la contribution de i est supérieure à la contribution moyenne.

Tableau II.9: relation entre le nombre de points de sanctions reçus et les niveaux de contribution
  MP#
Périodes 11-20
NP
Périodes 11-20
NS
Périodes 11-20
MP#
Période 20
NP
Période 20
NS
Période 20
Constante -2.018***
(.228)
4.76***
(0.219)
6.823***
(0.151)
-3.746***
(1.314)
2.638***
(0.411)
7.527***
(0.6942)
Déviation négative
(en valeur absolue)

0.488***
(0.0352)

0.765***
(0.0299)

0.6475***
(0.0458)

0.6501***
(0.228)

0.863***
(0.0698)

0.6529**
(0.1534)
Déviation positive 0.0449
(0.0398)
-0.0008*
(0.002)
-0.3017***
(0.2977)
-0.1841
(0.344)
0.143**
(0.070)
-0.3968***
(0.0843)
Contribution moyenne du groupe -0.05656***
(0.0155)
-0.2479***
(0.0199)
-0.43946***
(0.03801)
-0.033
(0.06715)
-0.00553
(0.0045)
-0.4153**
(0.1172)
             
  N=1308

Log lik. F.
–873.89
N=1200
F[3,1196]=
271.62***
R2 0.405
N=1176
F[3,1172]=
168.25***
R2 0.301
N=132

Log lik. F.
–75.75
N=122
F[3,118]=
16208.41***
R2 0.99
N=95
F[3,91]=
21.48***
R2 0.414
Note : ***significativité au seuil de 1% , ** : significativité au seuil de 5%, * : significativité au seuil de 10% . Les écarts-types sont en parenthèses : des estimations TOBIT ont été réalisées pour le traitement MP. Les quatre autres régressions sont des estimations OLS

Le coefficient 1 est positif et très significatif dans les trois traitements (MP, NP et NS). Ainsi les sujets sont fortement sanctionnés par l’attribution de points de sanction (monétaire ou non monétaire) lorsque leur contribution est plus faible que la contribution moyenne du groupe. Le coefficient 2 n’est pas significatif pour le traitement MP. Les « déviations positives » n’ont donc pas de pouvoir explicatif fort quant à l’attribution des points de sanction monétaire. Pour les traitements avec sanction non monétaire, 2 est négatif, ce qui signifie qu’un joueur reçoit moins de points de sanction non monétaire lorsqu’il contribue plus que la moyenne.Cette relation est davantage prononcée dans le traitement NS que dans le traitement NP.Le coefficient 3 est de signe négatif et significatif pour l’ensemble des traitements (sur l’ensemble des périodes). Cela signifieque plus la contribution moyenne du groupe est élevée, moins un sujet reçoit de points de sanction. Ces résultats pour le traitement MP sont similaires à ceux obtenus par Fehr et Gachter (2000).

Les résultats de l’analyse précédente mettent en évidence les deux faits suivants : d’une part, les sujets n’hésitent pas à sanctionner ceux qui contribuent moins que la contribution moyenne. D’autre part, les sujets peuvent échapper aux sanctions (monétaires et non monétaires) en contribuant largement au bien public. Ils évitent ainsi les conséquences monétaires et la désapprobation de leurs pairs véhiculés par les points de sanction.

RESULTAT 5 : Les sujets augmentent leur niveau de contribution en période t+1 en réaction aux points de sanction monétaire ou non monétaire reçus en période t.

Les graphiques 12, 13 et 14 illustrent la relation entre le nombre de points reçus et la déviation en termes de contribution par rapport à la contribution de celui qui sanctionne. Il apparaît une relation positive entre le nombre de points de sanction monétaire ou non monétaire reçus à une période et l’augmentation de la contribution de celui qui les reçoit à la période suivante. Il apparaît que les sanctions monétaires mais également non monétaires reçues en période t ont un impact positif sur le niveau de contribution des sujets à la période (t+1).

Graphique II.12 : Contribution relative entre les périodes (t+1) et (t) selon le nombre de points de sanction monétaire reçus en période (t)
Graphique II.13 : Contribution relative entre les périodes (t+1) et t selon le nombre de points de sanction non monétaire reçus en période (t) (Condition Partenaire)
Graphique II.14 : Contribution relative entre les périodes (t+1) et t selon le nombre de points de sanction non monétaire reçus en période (t) (condition Etranger)

Le graphique 12 montre que les sujets qui reçoivent des points de sanction monétaire en période (t) tendent à augmenter leur niveau de contribution en période (t+1). A l’inverse, ceux qui ne reçoivent pas de points de sanction à une période donnée ont tendance à réduire leur contribution à la période suivante. Dans les traitements NP et NS, les joueurs qui reçoivent plus de 15 points de sanction, ce qui représente la moitié des points de sanction que peut recevoir un joueur, augmentent leur contribution en période suivante. A l’inverse, ceux qui reçoivent moins de 15 points de sanction en période (t) réduisent leur niveau de contribution en (t+1). Les coefficients de corrélation entre le nombre de points de sanction reçus et la différence de contribution entre les périodes (t+1) et (t) sont respectivement de 0.28 et 0.42 pour les périodes 11-20 des sessions MP et NP.

Soit la régression suivante :

Le coefficient traduit l’effet de la somme totale des points reçus par le joueur i en période t sur sa contribution relative entre les périodes t et t+1. Le coefficient 2 traduit l’effet de l’observation de la contribution moyenne en période t. Le tableau 10 donne les estimations de la régression ci-dessus.

Tableau II.10: Effets des points reçus en t sur la contribution relative entre t+1 et t
variable expliquée : ci t+1 – ci t
MP NP NS
Constante -0.783* -4.698*** -4.896***
  (0.46619) (0.866) (0.9843)
       
Points (1) 0.8359*** 0.2957*** 0.3380***
((
  (0.1167) (0.0322) (0.03586)
       
Moyenne (2)
0.02966 0.1257* -0.19816*
(0.0345) (0.0663) (0.1165)
       
R 2 0.1077 0.181 0.2466
Observations 428 397 344
***significativité au seuil de 1% , ** : significativité au seuil de 5%, * : significativité au seuil de 10% Les écarts types sont en parenthèses

L’étude du tableau 10 fait apparaître un certain nombre de caractéristiques sur les comportements de contribution des sujets. Le coefficient 1 est positif et significatif pour l’ensemble des traitements. Il existe donc une relation positive et significative entre le nombre de points de sanction monétaire et non monétaire reçus en période (t) et l’évolution de la contribution de celui qui les reçoit entre les périodes (t) et (t+1). Ainsi les sanctions reçues à une période conduisent les sujets à augmenter leur contribution à la période suivante. Les coefficients 2 ne sont pas très significatifs pour les trois traitements. Cela signifie que l’observation de la contribution moyenne du groupe n’influence pas leur comportement de contribution.

Comment expliquer ces résultats ? Une explication possible consiste à interpréter les coefficients 1 et 2 à partir de la terminologie utilisée par Kandel et Lazear (1992) afin de dissocier la pression des pairs externe de la pression des pairs interne. Alors que la pression externe requiert le regard de l’autre qui montre sa désapprobation suscitant ainsi des sentiments de honte, la pression interne est l’internalisation de ce regard. C’est le regard que l’on porte sur soi qui engendre de la culpabilité et l’observation par les pairs n’est pas nécessaire. Les points de sanctions attribués par les pairs sont une pression externe puisqu’ils reflètent la désapprobation. A l’inverse, la comparaison de sa contribution à la contribution moyenne en période (t) traduit le regard que les sujets portent sur leurs propres actions. L’analyse du tableau 10 montre que seule la pression externe joue ici. En effet, les points de sanction incitent les sujets qui les reçoivent à contribuer davantage dans le futur. A l’inverse, la pression interne n’influence pas le comportement des joueurs puisqu’un joueur qui observe la moyenne du groupe n’est pas incité à contribuer davantage à la période suivante. Il ne ressent pas de culpabilité. Donc, seule la pression des pairs externe semble efficace et permet de soutenir la coopération au sein d’un groupe de pairs.

L’analyse de la relation entre les comportements de sanction et de contribution met donc en évidence le fait que les points de sanction monétaire et non monétaire sont attribués de la même façon. Ainsi, les sujets sont d’autant plus sanctionnés qu’ils contribuent moins que la moyenne. En outre, ils augmentent leur niveau de contribution en réaction aux points de sanction qu’ils ont reçus à la période précédente. La sous-section suivante considère l’impact des sanctions monétaires et non monétaires sur les gains des sujets.