5. Conclusion

Cette étude est une tentative d'identification de l’effet des sanctions sur le niveau de coopération dans une situation de jeu expérimental de contribution volontaire à un bien public. L’expérience réplique celle de Fehr et Gachter (2000) et montre que l’opportunité de sanctionner monétairement les autres membres du groupe a un effet positif sur le niveau des contributions. Nous obtenons des résultats similaires à ceux obtenus par Fehr et. Gachter (2000). Lorsque les sujets ont la possibilité de sanctionner les autres membres de leur groupe en leur attribuant des points de sanction monétaire, le niveau moyen de contribution augmente considérablement. Deux raisons sont avancées pour expliquer les niveaux élevés de contribution. Les sujets sont incités à contribuer davantage afin d’éviter les conséquences directes monétaires des sanctions (effet direct des sanctions) mais également non monétaires en termes de désapprobation des pairs (effet indirect des sanctions).

Afin d’étudier l’importance relative de ces deux explications, nous avons conduit une session avec des sanctions non monétaires. Les sanctions non monétaires ne modifient pas les gains des agents sanctionnés ni de ceux qui sanctionnent. Nous observons que les sanctions non monétaires ont également un effet positif significatif sur le niveau de contribution des sujets. Donc l’effet direct des sanctions ne permet pas à lui seul d’expliquer la totalité du niveau des contributions puisque la coopération peut également être obtenue avec des sanctions non monétaires. Si les sanctions non monétaires ont un impact positif sur les niveaux de contribution, leur effet incitatif s’atténue toutefois progressivement au cours du temps. Leur efficacité est par ailleurs fortement conditionnée par la composition du groupe. Ainsi, lorsque la composition du groupe est modifiée à chaque période (traitement étranger), les niveaux de contribution observés sont moins importants qu’en traitement partenaire où la composition du groupe est inchangée à chaque période. L’effet des sanctions monétaires sur le niveau de contribution est plus fort et plus persistent dans le temps que celui des sanctions non monétaires.

L'influence des points de sanction non monétaire sur le niveau de coopération des joueurs exige une explication d’ordre non-stratégique. L’importance attachée aux émotions (honte) apparaît comme une explication possible pour comprendre pourquoi les joueurs augmentent leur niveau de contribution en période t+1 lorsqu’ils reçoivent des points de sanctions non monétaires en période t. Selon Kandel et Lazear (1992), les individus seraient sensibles à la désapprobation de leurs pairs qui induirait des sentiments de honte. Ainsi la honte serait un stimulus conduisant les agents qui en font l’expérience à repérer les situations qui l’engendrent afin de les éviter dans le futur. De ce fait, la honte confèrerait deux types d’avantage à ceux qui en font l’objet. D’une part, elle alerterait l’individu sur les conséquences négatives de ses actions et l’inciterait à adopter un comportement différent dans le futur. D’autre part, elle permettrait d’atteindre la coopération à moindre coût dans les groupes où elle est susceptible d’apparaître (Bowles et Gintis, 20001). Cette hypothèse ne peut pas être rejetée au regard des résultats obtenus qui montrent que les sujets qui ont contribué moins que la moyenne à une période, sont incités à accroître leur contribution à la période suivante, lorsqu’ils reçoivent des points de sanction non monétaires. La pression des pairs externe (désapprobation des pairs) apparaît donc comme un facteur susceptible de soutenir la coopération au sein d’une équipe de travail.

Une extension possible de ces travaux sur les sanctions non monétaires pourrait consister à dissocier les effets de l’observation de ceux de l’attribution des points de sanction non monétaire. En effet, si les résultats expérimentaux mettent en évidence l’efficacité de la pression des pairs d’ordre non monétaire, ils ne permettent toutefois pas de dissocier les effets respectifs de l’attribution des points de sanction non monétaires de ceux inhérents à la seule observation des niveaux individuels de contribution des autres membres du groupe. La seule observation des contributions individuelles des autres membres du groupe est-elle un facteur suffisant pour inciter les sujets à contribuer davantage au bien public. L’étude des effets de l’observation des niveaux individuels de contribution sur le niveau de coopération dans un jeu de bien public a fait l’objet d’un certain nombre de travaux récents. Rege et Telle (2001) observent que l’introduction de sanctions sociales consistant à révéler le niveau de contribution des autres sujets accroît significativement le niveau de contribution au bien public. Barr (2001) obtient des résultats similaires. Moir (1998) observe au contraire que la seule observation des comportements de contribution conduit à réduire le niveau de coopération au sein du groupe. Il existe donc une incertitude sur l’effet de la seule observation sur le niveau de contribution des sujets.

Une autre extension serait d’étudier l’efficacité des sanctions non monétaires lorsqu’elles sont coûteuses pour ceux qui les attribuent. Brennan et Pettit (1993) ; Loewenstein (2000) ou Rege et Telle (2001) suggèrent que les sanctions sociales n’ont pas besoin d’être coûteuses pour ceux qui les affectent pour être efficaces. Elster (1998), Coleman (1990) suggèrent quant à eux que les sujets sont d’autant plus sensibles aux sanctions sociales qu’elles sont coûteuses pour ceux qui les attribuent. L’idée est la suivante : lorsque la sanction est coûteuse pour le sanctionneur, la désapprobation est alors d’autant plus forte dans la mesure où la sanction véhicule le sacrifice réalisé par celui qui sanctionne.