2.2. L’exclusion par les pairs: Hirshleifer et Rasmusen (1989)

Hirshleifer et Rasmusen (1989)modélisent l’ostracisme comme une forme particulière de pression des pairs dans le cadre d’une équipe de travail. A la différence du modèle de Cahuc et Kramarz (1997), les agents ne se contentent pas de désigner leurs pairs mais les excluent eux-mêmes du groupe. L'ostracisme est coûteux pour le groupe puisque l'expulsion d'un membre du groupe réduit la taille de l’équipe et donc les gains potentiels pour chacun des agents. Cependant, sous certaines conditions, l’ostracisme peut être une menace crédible et la coopération peut apparaître. Les auteurs considèrent le jeu séquentiel suivant :

Graphique II.3. Les étapes du jeu
Membres
Phase
Etape
n
os
1
n1
pd
1
n2 os
os
2
n2
pd
2
n3 os
os
3
n3
pd
3


................
nT os
os
T
nT
pd
T

Chaque étape du jeu est composée de deux phases : une phase os et une phase pd. La phase os se déroule de la façon suivante : les agents décident d’exclure ou pas les autres membres de leur groupe. Un agent exclu en phase os d’une étape donnée du jeu ne peut participer ni à la phase pd de cette même étape ni à la phase os de l’étape suivante. S’il est exclu, il reçoit une pénalité Y, telle que Y>X, qui traduit le coût de ne plus être un membre du groupe. A chaque étape du jeu, les sujets qui n’ont pas été exclus en phase os, participent à la phase pd.

En phase pd (dilemme du prisonnier), les sujets doivent décider de coopérer ou pas à la production d’un output qui sera partagé à égalité entre les membres du groupe.L’output est d’autant plus important que le nombre de coopérateurs dans le groupe est élevé. Toutefois, le gain individuel d’un passager clandestin est supérieur à celui d’un coopérateur tel que :

(1)

f (n c ,n) est l’output moyen reçu par chaque membre du groupe. n est le nombre d’agent dans le groupe à cette étape du jeu, n c est le nombre de coopérateurs. La désutilité de coopérer est notée X.

A l’équilibre de Nash parfait en sous jeu, tous les joueurs adoptent une combinaison de stratégie appelée bannissement jusqu’à la dernière étape du jeu. Cette stratégie consiste à coopérer à la production de l’output et à exclure tous ceux qui dévient de l’équilibre. Ceux qui dévient sont ceux qui ne coopèrent pas, ceux qui excluent un coopérateur, ceux qui n’excluent pas un non-coopérateur mais aussi ceux qui n’excluent pas quelqu’un qui n’a pas exclu un non-coopérateur et ainsi de suite. On montre que la combinaison des stratégies de bannissement est un équilibre de Nash parfait en sous jeu. Pour cela, on vérifie qu’aucun sujet n’est incité à dévier de la stratégie d’équilibre à chaque sous-jeu. Résolvons le jeu à rebours.

En phase pd de la dernière étape du jeu (étape T), personne ne coopère puisque le jeu s’arrête. En phase os de l’étape T, lesagents décident d’exclure ou pas les autres membres de leur groupe. Puisque l’output n’est jamais réalisé en Tpd, quel que soit le nombre d’agents dans le groupe, alors il n’existe plus de coût à exclure. Les sujets sont doncincités à exclure ceux qui n’ont pas coopéré à l’étape précédente. Hirshleifer et Rasmusen (1986) montrent que, du fait de l’indifférence entre exclure ou ne pas exclure, il existe un autre équilibre qui consiste à « ne jamais coopérer », « ne jamais exclure ». Cet équilibre étant pareto inférieur à l’équilibre coopératif, les joueurs vont se positionner sur le second. Les auteurs se réfèrent à l’idée de point focal tout en admettant l’aspect arbitraire de cette démarche. L’idée est la suivante : si un individu ne subit aucun coût à punir un voleur ou à ne pas le punir, il choisira de le punir .

Encadré III.1. Définition du point focal (Thomas Schelling (1960) ; “The strategy of conflict”)
Un point focal est un équilibre de Nash qui sera choisi pour des raisons d’ordre psychologiques. Ce qui rend fait d’une stratégie ou d’une combinaison de stratégie un point focal n’est pas chose aisée et dépend du contexte.

Les auteurs considèrent ensuite les étapes t<T et étudient tout d’abord les choix d’un joueur A en tpd selon qu’il ait ou non dévié en tos. En tpdle joueur A décide de coopérer ou non à la production de l’output. Deux cas doivent être considérés selon que A a dévié ou pas en tos. Si le joueur A a dévié en tos, par exemple s’il n’a pas exclu un non-coopérateur, il est également incité à dévier en tpd. En effet, il sait qu’il sera exclu en (t+1)os et ne subit donc pas de pénalité supplémentaire à dévier en tpd. Si A n’a pas dévié en tos, il est incité à coopérer si la condition suivante est vérifiée :

En tos, le joueur A doit décider de dévier ou non de la stratégie d’équilibre sachant que tous les autres sont à l’équilibre. Dévier à cette étape peut consister par exemple à ne pas exclure un sujet déviant 27 . Deux cas se présentent selon que le joueur A pense qu’il sera ou pas exclu à cette étape. Si le joueur A pense être exclu à cette étape, son gain en tpd est le même, quelle que soit sa décision en tos. Par contre, s’il dévie en tos, il sera exclu en (t+1)os et ne pourra donc pas participer au jeu en (t+1)pd. Donc A choisit de ne pas dévier en tos, s’il pense être exclu à cette étape. Si A pense au contraire ne pas être exclu à cette étape et dévie en tos, il sera exclu en (t+1)os. Par ailleurs, s’il dévie en tos, il déviera également en tpd. Donc A ne dévie pas en tos si la condition suivante est vérifiée :

Les travaux présentés ici mettent en évidence l’efficacité des menaces d’ostracisme comme support de la coopération au sein d’un groupe, que l’application des sanctions se fasse par les agents eux-mêmes (Hirshleifer et Rasmusen, 1989) ou par le principal (Cahuc et Kramarz, 1997). L’étude de l’ostracisme présentée dans ce chapitre s’inspire des travaux d’Hirshleifer et Rasmusen (1989) dans la mesure où la structure du jeu est plus appropriée à l’étude de la pression des pairs dans une équipe de travail. Plus précisément, les menaces de sanctions sont étudiées comme une forme particulière de sanction des pairs appliquée à un jeu de bien public.

Notes
27.

Les auteurs montrent qu’une déviation en tos, consistant à exclure un joueur coopérateur, n’est pas non plus profitable puisqu’elle conduit à réduire la taille du groupe.