Le fait d’exclure un ou plusieurs membres du groupe n’est pas directement coûteux pour celui qui exclut dans la mesure où cela ne modifie pas ses gains du premier projet. Il existe cependant un coût indirect à exclure. En effet, exclure un ou plusieurs membres du groupe réduit la taille du groupe contribuant au deuxième projet. En conséquence, les gains potentiels attendus de ce dernier sont réduits puisque le deuxième projet se trouve amputé des contributions individuelles des sujets exclus. Ce coût résulte de la réduction des économies d'agrégation pour le deuxième projet. Les économies d'agrégation traduisent le fait que les gains individuels des sujets sont une fonction croissante du nombre de membres présents dans le groupe, telle que :
Toutefois, la présence d'un sujet qui adopte une stratégie de passager clandestin n’accroît pas l’output (d’où le signe non strictement inférieur de l’inégalité ci-dessus). En effet, les économies d’agrégation sont nulles en l’absence de coopération, c’est à dire que les gains des sujets sont indépendants de la taille du groupe lorsque personne ne contribue au bien public. Le gain de chaque sujet i pour les deux projets dans le traitement ESC s’écrit sous la forme suivante :
i,1 esc représente le gain de l'agent i résultant du premier projet et i,2 esc son gain résultant du deuxième projet. Le rendement marginal du bien public est identique dans les deux projets. n os est le nombre de sujets qui ont été exclus et ne peuvent donc pas participer au deuxième projet. Le gain total d’un sujet i pour l’ensemble des dix périodes du jeu est donné par :
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Quelle est la prédiction théorique de ce jeu ? On montre que la combinaison de stratégies appelée bannissement, qui consiste à contribuer au premier projet un montant non nul 31 , exclure tous ceux qui ne coopèrent pas au premier projet et enfin ne pas contribuer au deuxième projet, forme un équilibre parfait en sous jeu. A l’équilibre, chacun coopère au premier projet. Si un sujet dévie de l’équilibre, alors les autres continuent à coopérer mais excluent le sujet déviant. Dans le deuxième projet, la stratégie de passager clandestin est une stratégie dominante puisque les décisions de contribution à ce deuxième projet ne peuvent faire l’objet de représailles. Il apparaît que le comportement non coopératif dans le deuxième projet permet d’atteindre la coopération dans le premier projet. En effet, si les agents qui n’ont pas été exclus ne contribuent pas au deuxième projet, il n’existe plus de coût indirect à exclure les autres membres du groupe puisque le deuxième projet ne sera jamais financé quelle que soit la taille du groupe. Les économies d'agrégation sont alors nulles pour ce deuxième projet indépendamment du nombre de membres. En l'absence de coût direct à exclure quelqu'un, la menace de l'exclusion devient donc une menace crédible, qui permet de soutenir la coopération dans le premier projet.
Proposition 1: En l'absence de coût direct à exclure quelqu'un, la coopération peut émerger dans le premier projet.
Preuve de la proposition 1 : Procédons par induction à rebours afin de montrer que la combinaison de stratégies où tous les sujets suivent les stratégies de bannissement est une stratégie d’équilibre. Pour cela, montrons qu’aucun sujet n’est incité à dévier de cet équilibre à chacune des étapes du jeu.
En dernière étape du jeu, les sujets qui n’ont pas été exclus décident de leur niveau de contribution au deuxième projet. La stratégie de passager clandestin est une stratégie dominante dans cette étape. En effet, aucun sujet n’est incité à contribuer au projet dans la mesure où la décision à cette étape du jeu ne peut pas faire l’objet de représailles.
En deuxième étape, chaque sujet observe la contribution individuelle de chacun des autres membres du groupe et décide de les exclure ou non. Puisque les sujets s’attendent à ce que le deuxième projet ne soit pas produit quelle que soit la taille du groupe, le coût indirect d’exclusion d’un membre est nul. Chaque sujet i est donc incité à exclure tous les sujets qui ne coopèrent pas au premier projet 32 .
En première étape, les sujets choisissent de contribuer ou pas au premier projet. On étudie l’incitation pour un sujet i à dévier de la stratégie d’équilibre, c’est à dire à ne pas coopérer au premier projet alors que tous les autres suivent la stratégie d’équilibre. Si un sujet adopte un tel comportement, il reçoit un gain immédiat supérieur à ce qu’il aurait obtenu en coopérant puisqu’il bénéficie de tout le résultat sans coopérer au projet commun. Cependant, ce sujet sera exclu par les autres membres du groupe et ne pourra donc pas participer au deuxième projet. Son profit résultant du deuxième projet est alors nul. A l’inverse, si un sujet coopère au premier projet, son profit en première étape est inférieur à celui obtenu en adoptant un comportement de passager clandestin. Toutefois, il n'est pas exclu et peut donc participer au deuxième projet. Puisqu’à l’équilibre le deuxième projet n'est jamais produit, le profit issu du deuxième projet se résume à y2, c’est à dire à la dotationinitiale du deuxième projet.
Par conséquent chaque sujet i préfère contribuer au premier projet si la condition suivante est vérifiée:
Le premier terme de l'inégalité représente le profit du sujet i s'il coopère au premier projet et adopte un comportement de passager clandestin au deuxième projet. Le deuxième terme de l’inégalité ci-dessus traduit le gain du sujet i s’il adopte un comportement de passager clandestin au premier projet et est exclu du deuxième projet. Ses gains pour la période se résument donc aux gains issus du premier projet. La condition ci-dessus est-elle toujours vérifiée? Selon l’hypothèse sur les économies d'agrégation, on sait que :
De plus, on sait que ygi. Par conséquent, la condition ci-dessus est toujours vérifiée 33 . Ainsi, les sujets choisissent de coopérer au premier projet. La menace d'exclusion est donc une menace crédible permettant d’atteindre la coopération dans le premier projet. A l’équilibre, chaque sujet i coopère au premier projet et personne n'est exclu. En troisième étape du jeu, personne ne contribue au deuxième projet. La coopération 34 peut donc ainsi être atteinte dans le premier projet du fait de l’existence d’une menace crédible de sanction d’exclusion en deuxième étape du jeu. La coopération au premier projet est alors obtenue au prix d’une non-coopération au deuxième projet permettant d’exclure sans coût en deuxième étape du jeu.
Multiplicité d’équilibre
Un problème relatif au traitement ESC, et plus généralement à la théorie des jeux, est que certaines catégories de jeu possèdent de nombreux équilibres. Ainsi l’équilibre où tous les sujets coopèrent au premier projet n’est pas un équilibre unique. En effet, il existe un autre équilibre où personne ne coopère au premier projet, personne n’exclut et personne ne coopère au deuxième projet. L’existence de ce deuxième équilibre provient du problème d’indifférence entre les stratégies d’exclusion ou de non exclusion en deuxième étape du jeu. En effet, dès lors qu’il n’existe plus de coût à exclure un sujet, les agents sont indifférents entre exclure ou non un passager clandestin. Si les agents avaient la possibilité de se coordonner, ils choisiraient donc de se positionner sur l’équilibre pareto dominant. Une preuve formelle est donnée dans Fudenberg et Tirole(1991), (p18-22 ; p175-179) et dans Rasmusen (1994), (p106-107). L’équilibre avec coopération au premier projet est Pareto supérieur. Cet équilibre devrait donc être choisi par les joueurs comme point focal (Hirshleifer et Rasmusen, 1989, p100) (voir annexe B1). Il convient toutefois de souligner l’aspect plus ou moins arbitraire d’une telle démarche comme pour tout raffinement d’équilibre. L’économie expérimentale devrait nous permettre de vérifier sur quel équilibre les agents vont effectivement se positionner 35 .
Il existe en fait une multiplicité de combinaison de stratégies d’équilibre selon la définition de la coopération dans le jeu. Ainsi, lorsque la coopération consiste à contribuer toute sa dotation au premier projet, la combinaison de stratégies d’équilibre consiste à contribuer toute sa dotation au premier projet, exclure tous ceux qui contribuent moins que leur dotation et enfin, ne pas contribuer au deuxième projet. On montre, en annexe B2, que la condition (7) est vérifiée quelle que soit la définition de la coopération.
Il existe toutefois une deuxième stratégie qui consiste à « ne jamais exclure.». Quelle stratégie sera choisie par les joueurs ? La sanction d’exclusion peut être utilisée comme menace en cas de non-coopération. Cette menace est crédible puisque la sanction n’est pas coûteuse pour ceux qui l’appliquent du fait de l’existence du deuxième projet non réalisé(cf l'annexe B1). Une preuve de ce résultat, généralement appliquée aux jeux répétés mais qui s’applique également aux jeux séquentiels est donnée dans van Damme, (1991, pp.198-206), Gibbons, (1992, pp82-88), Fudenberg et Tirole, (1986, p167) et Eichberger (1993, pp.224-229) . Considérons un jeu séquentiel en deux étapes avec deux équilibres parfaits en sous jeu en deuxième étape, notés E1 et E2, tels que l’équilibre E1 procure un gain plus élevé que E2 (au sens de Pareto). S’il existe en première étape, une issue S qui procure un gain plus élevé à chaque sujet, si tous la choisissent, alors une stratégie d’équilibre du jeu consiste à retenir E1 dans la deuxième étape du jeu si S est choisie dans la première étape, et de choisir E2 en représailles si s n’est pas choisie. La menace est crédible ici puisqu'elle retient un équilibre de Nash dans la deuxième étape du jeu (van Damme, 1991). Ce résultat illustre le fait que lorsqu’il y a deux ou plusieurs équilibres de Nash à la dernière étape d’un jeu séquentiel, la coopération peut être atteinte du fait de la multiplicité d’équilibre.
On suppose ici qu’il n’y a pas de préférence pour le présent ; le facteur d’escompte est tel que : =1.
On a supposé qu’à l’équilibre un sujet exclu tous ceux qui ne contribuent pas au premier projet. Cette définition de la coopération est cependant arbitraire. On vérifie en annexe B2 que la condition (7) est vérifiée pour toute définition de la coopération.
On a supposé ici que les agents sont engagés dans deux projets successifs. Il est évident que lorsque les agents sont engagés dans N projets successifs avec N suffisamment grand, alors le coût indirect pour le groupe de non coopération dans le projet final devienne marginal comparé aux bénéfices attendus des N-1 projets précédents.