2.1. Le rôle des intentions

Rabin (1993) propose une formulation de la fonction d’utilité des joueurs qui incorpore des éléments psychologiques comme les croyances dans le cadre de jeux simultanés. L’utilité des joueurs dépend alors à la fois des gains monétaires du joueur mais également des intentions qu’il attribue aux actions des autres. Rabin utilise pour cela un jeu psychologique construit par Geanakoplos, Pearce et Stacchetti (1989). Dans un jeu psychologique, l’utilité des sujets ne dépend pas uniquement de leurs gains mais également de leurs croyances et des croyances des autres sur leurs croyances. Notons a i A i la stratégie du joueur i. Lorsque i décide de sa stratégie, il a des croyances quant à la stratégie choisie par le joueur j. Notons b j la croyance du joueur i sur la stratégie que j va suivre. Le joueur i a également des croyances sur les croyances du joueur j quant à la stratégie du joueur i. Cette croyance sur les croyances de j est notée c i . La fonction d’utilité d’un joueur est composée de ses gains matériels et de ses gains psychologiques. Le joueur i maximise donc une fonction d’utilité définie par:

(2)

D’après cette fonction, il apparaît que la bienveillance repose sur une comparaison entre le gain attendu du jeu (sachant que j est supposé choisir la stratégie b j ) et le gain jugé équitable qui correspond à la moyenne arithmétique entre le plus élevé et le plus faible des gains Pareto-efficients susceptibles d’être attribués à j par l’action de i . Cette comparaison est pondérée par la différence entre le gain potentiel le plus élevé de j et son gain le plus faible du jeu . Si i revendique une part plus importante, reflète une action malveillante vis à vis de j. La perception de la bienveillance de j envers i est construite de façon similaire à la fonction précédente. Elle est donnée par :

(3)

Le joueur maximise sa fonction d’utilité définie par (1). A partir de cette fonction, il apparaît que la meilleure réponse du joueur i à une action anticipée comme malveillante (respectivement bienveillante) est représentée par la punition (respectivement par la récompense), même si ces pratiques sont coûteuses pour le joueur qui les utilise.

Cette fonction d’utilité offre l’avantage de rendre rationnelles et crédibles de telles pratiques coûteuses. Toutefois, le modèle de Rabin comporte un certain nombre de limites. D’une part, la multiplicité des équilibres est une caractéristique générale de ce modèle. En particulier, il y a un équilibre dans lequel les deux joueurs sont bienveillants et un équilibre où ils sont malveillants. Il est alors difficile de prévoir quel équilibre va être joué. D’autre part, cette fonction d’utilité est définie pour des jeux simultanés et non pour des jeux séquentiels. Dufwenberg et Kirchsteiger (1998) ont appliqué le modèle de Rabin (1993) à des jeux séquentiels. Les auteurs introduisent la notion d’équilibre séquentiel réciproque (SRE). En jeu séquentiel, les joueurs sont amenés à réviser leurs croyances à chaque nœud du jeu. Cela suppose donc de distinguer les croyances initiales des joueurs de leurs croyances révisées. En effet, la nature de ces croyances dépend fortement du sous-jeu dans lequel les joueurs se trouvent au moment de leur choix. Cependant, même dans les jeux séquentiels extrêmement simples, l'analyse d'équilibre devient rapidement complexe.

Les travaux expérimentaux qui se sont attachés à tester les intentions donnent des résultats contradictoires. Blount (1995) a cherché à vérifier l’hypothèse fondée sur les intentions à partir d’un jeu d'ultimatum joué sous deux traitements différents. Dans un premier traitement, appelé traitement aléatoire, l'offre du proposant est déterminée de façon aléatoire. Le répondant sait comment l'offre est déterminée et que le proposant n’est pas responsable de cette offre. Dans un deuxième traitement, appelé traitement avec intentions, le proposant détermine lui-même l’offre. La comparaison des deux traitements permet de vérifier le rôle joué par les intentions des joueurs. Alors que dans le premier traitement, les intentions ne jouent pas, elles jouent pleinement dans le deuxième traitement. Blount observe que les répondants rejettent les offres non équitables dans les deux traitements. Toutefois, il observe que le seuil d'acceptation est sensiblement plus élevé dans le traitement avec intentions. Bolle et Kritikos (1998) obtiennent des résultats en faveur des intentions. Bolton, Brandts et Katok (1997) ; Bolton, Brandts et Ockenfels (2000) ne trouvent quant à eux aucune évidence en faveur du principe des intentions. Charness (à paraître) obtient des conclusions similaires à partir d’un jeu de don-contre don.