Bolton et Ockenfels (2000) ont développé un modèle d’aversion à l’inégalité proche de celui de Fehr et Schmidt. Ils utilisent une formulation spécifique de la fonction de préférence appelée ERC 46 :
c est la somme totale des gains. i représente la part du gain relatif pour le joueur i. Les préférences sont conformes aux hypothèses suivantes :
A0 : v i est continue et deux fois différentiable par rapport à y i et i .
L’hypothèse A1 traduit que la fonction est monotone croissante à taux décroissant des gains monétaires. C’est au travers de l’hypothèse A2 que se manifeste l’aversion pour l’inégalité du joueur. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’utilité est maximale quand la part de chaque individu est égale à la moyenne des gains.
r i (c) est une valeur plafond correspondant à la plus grosse part du partage social de référence que le joueur souhaite s’approprier pour un gain moyen donné k. s i (c) est le seuil minimal d’acceptation du joueur i représentant la part de c qui le rend indifférent entre accepter ou refuser une offre. Bolton et Ockenfels font l’hypothèse d’hétérogénéité des joueurs en supposant qu’ils se distinguent par la valeur de leurs seuils r i (c) et s i (c). La distribution de ces seuils est décrite par les fonctions de distribution f et g avec f(r i /k)>0 sur l’intervalle [1,) et g(s i /k)>0 sur l’intervalle (0,1] pour un gain absolu moyen k>0.
Les joueurs se trouvent dans une situation d’information incomplète puisqu’ils ne sont pas en mesure de connaître les seuils de rejet qui caractérisent les agents avec qui ils jouent mais où les fonctions de distribution de ces seuils (f et g) sont de connaissance commune. Ils peuvent donc évaluer la probabilité qu’une de leur offre soit rejetée. Trouver les équilibres ERC d’un jeu revient donc à maximiser la fonction de motivation dans le cadre d’un jeu bayésien. Afin d’obtenir des résultats dans les différentes configurations de jeu, les auteurs définissent une fonction de motivation particulière compatible avec les hypothèses présentées ci-dessus, soit :
L’intérêt de cette formulation est que le type d’un joueur est caractérisé par son TMS entre les gains matériels et l’aversion pour l’inégalité, ici égale à a/b.
Bolton et Ockenfels appliquent leur modèle à différents jeux expérimentaux. Ils obtiennent des résultats similaires à ceux de Fehr et Schmidt dans les jeux avec deux joueurs. Le point commun des modèles de Fehr et Schmidt (19999) et de Bolton et Ockenfels (2000) est que dans les deux modèles les joueurs ne se préoccupent pas de la distribution des gains entre les autres joueurs. Lorsque les jeux ont plus de deux joueurs, il existe au contraire des différences significatives entre les prédictions des deux modèles. En effet, dans ce cas, Fehr et Schmidt supposent qu’un sujet se compare à chacun des autres sujets séparément. Contrairement à Fehr et Schmidt, dans l'approche de Bolton et Ockenfels, les joueurs comparent leur gain matériel au gain moyen du groupe et cherchent alors par leurs décisions à se rapprocher de la moyenne du groupe. Ainsi, si le gain du sujet i est inférieur à la moyenne, alors il cherchera à réduire le gain d’un autre joueur afin de faire baisser la moyenne du groupe. Il est alors indifférent entre réduire le gain d’un sujet qui a un gain supérieur ou inférieur au sien.
Les travaux expérimentaux qui se sont attachés à comparer les modèles de Bolton et Ockenfels et Fehr et Schmidt ont montré que les individus ne se comparent pas à la moyenne du groupe mais plutôt aux autres membres du groupe pris séparément (Fehr et Fischbacher, 2000 ; Engelman et Strobel, 2000; Charness et Rabin, 2000 ; Zizzo et Oswald, 2000). Dans une relation bilatérale, il n’y a pas d’ambiguïté sur la référence de comparaison. Dans un jeu avec plusieurs joueurs, le choix de la référence est moins évident. Fehr et Fischbacher (2000) ont testé le modèle de Bolton et Ockenfels (2000) à l’aide du jeu suivant. Soit un jeu avec trois joueurs, respectivement les joueurs A, B et C. Dans un premier temps, le joueur A reçoit une dotation initiale de 100 ECU et doit décider du montant de cette dotation qu’il attribue au joueur B. Dans un deuxième temps, le joueur B reçoit la somme attribuée par le joueur A. Le joueur B n’a, par ailleurs, aucune décision à prendre. Enfin, dans un troisième temps, le joueur C reçoit une dotation initiale de 50 ECU. Il peut alors utiliser cette dotation afin de punir le joueur A après avoir observé combien ce dernier a attribué au joueur B. Pour une unité monétaire dépensée par C en punition, le gain de A est réduit de 3 unités. Selon les prédictions du modèle de Bolton et Ockenfels (2000), C ne devrait jamais punir. Fehr et Fischbacher observent au contraire, que les joueurs A sont fortement sanctionnés lorsqu’ils attribuent au joueurs B un montant relativement faible de la dotation. Cette observation indique donc que les sujets sont averses aux inégalités entre les joueurs.
Charness et Rabin (2000) ont également testé les prédictions des modèles de Bolton et Ockenfels (2000) et fehr et Schmidt (1999). Ils considèrent le jeu suivant : trois joueurs, A, B et C. Le joueur C doit choisir entre deux allocations de gains pour les trois joueurs : (575,575,575) ou (900,300,600). Puisque les deux allocations procurent au joueur C un gain exactement identique au gain moyen des deux autres joueurs (c’est à dire 1/3 du surplus), le joueur C devrait choisir d’après le modèle de Bolton et Ockenfels (2000) la première allocation qui lui procure un gain supérieur. Au contraire, si les prédictions du modèle de Fehr et Schmidt (1999) sont vérifiées, alors le joueur C devrait choisir la première allocation dès lors que le gain de C est identique à chacun des gains individuels de chaque joueur. Charness et Rabin observent que plus de la moitié des sujets choisissent la première allocation des gains, ce qui s’oppose aux prédictions du modèle de Bolton et Ockenfels (2000) et semble confirmer les prédictions du modèle de Fehr et Schmidt.
Une objection souvent faite aux modèles axés sur les considérations distributives est qu’ils négligent d’incorporer un élément prépondérant, à savoir l’influence des intentions. En effet, les modèles de Bolton et Ockenfels et Fehr et Schmidt supposent que les joueurs ne se préoccupent pas des intentions des autres joueurs. L’absence de modélisation explicite des intentions dans les modèles d’aversion à l’inégalité ne signifie cependant pas qu’ils soient incompatibles avec une interprétation des comportements réciproques fondée sur les intentions. En effet, les paramètres et du modèle de Fehr et Schmidt peuvent être interprétés, à partir d’une approche fondée sur les intentions, puisque les intentions bonnes ou mauvaises sont en générales inférées par ce qu’implique une action en termes d’équité. Ils peuvent alors varier selon l’importance accordée aux intentions. Ainsi, les individus qui ont le désir de punir une mauvaise intention se comportent comme s’ils détestaient avoir des gains inférieurs à ce qu’ils jugent être équitable ; ceux qui récompensent de bonnes intentions se comportent comme s'ils préféraient avoir des gains supérieurs à cette même référence d’équité. Par conséquent, les paramètres de préférence dans le modèle de Fehr et Schmidt sont compatibles avec l’interprétation de la réciprocité qui repose sur les intentions.
Il s'avère que, même si aucune modélisation du comportement n’est entièrement satisfaisante, le succès des modèles de Bolton et Ockenfels et Fehr et Schmidt repose d’une part sur leur simplicité et d’autre part sur leur capacité à expliquer une grande variété d’observations expérimentales. C’est pour ces raisons que le choix de la fonction d’utilité modifiée utilisée par la suite pour modéliser la pression des pairs porte sur l’approche d’aversion à l’inégalité de Fehr et Schmidt (1999).
ERC correspond à Equité Reciprocité et Concurrence.