5. Conclusion

Ce chapitre a permis de montrer l’importance des considérations distributives. Parmi celles-ci, l’aversion à l’inégalité semble jouer un rôle majeur. Même s’il est coûteux de punir, les sujets peuvent être incités à punir les passagers clandestins lorsqu’ils sont suffisamment averses à l’inégalité. En effet, les sanctions permettent de réduire les dissonances de gains entre les joueurs. La coopération peut alors apparaître lorsque les agents ont la possibilité de se sanctionner mutuellement. A l’inverse, sans opportunité de sanction, les sujets ne peuvent pas soutenir la coopération même s’ils sont averses à l’inégalité. La seule façon de réduire les différences de gain avec un passager clandestin consiste pour un coopérateur, à réduire son propre effort.

Les résultats expérimentaux tirés des jeux de bien public avec et sans opportunité de sanction confirment en partie les prédictions théoriques du modèle de pression des pairs sous l’hypothèse d’aversion à l’inégalité. On observe que les motivations non stratégiques liées à l’aversion à l’inégalité jouent un rôle considérable dans l’explication des comportements de sanction. Ainsi, les joueurs sanctionnent essentiellement ceux qui contribuent moins qu’eux. Cela semble indiquer que les coopérateurs cherchent à réduire les différences de gains avec les passagers clandestins. Toutefois, si l’hypothèse d’aversion à l’inégalité apporte une explication pertinente aux comportements de sanction, elle ne permet pas d’expliquer toutes les observations. En effet, les résultats expérimentaux montrent que les sujets ne sanctionnent pas uniquement pour des raisons non stratégiques mais également afin d’inciter à la coopération dans le futur (raison stratégique). Par ailleurs, comment expliquer que les sujets sanctionnent leurs pairs alors que les points de sanction non monétaire n’affectent pas les gains de ceux qui les reçoivent et ne peuvent donc pas réduire l’inégalité des gains ?

Une première explication est consiste à mettre en avant le caractère non coûteux des sanction, ce qui nécessite alors d’être prudent quant à une remise en cause trop hâtive de l’hypothèse d’aversion à l’inégalité. Toutefois, Falk, Fehr et Fischbacher (2000) 56 observent un résultat similaire avec un jeu de dilemme du prisonnier avec possibilité de sanction coûteuse. Ils étudient deux traitements différents. Dans un premier traitement, les points de sanction permettent de réduire la différence de gains entre les joueurs car le coût d’être sanctionné est supérieur au coût de sanctionner. Dans un deuxième traitement, les points de sanction ne permettent pas de réduire cette différence de gain car le coût de sanctionner est identique au coût d’être sanctionné. Un point de sanction coûte une unité monétaire pour celui qui la reçoit mais également pour celui qui l’attribue. Donc, les points de sanction ne modifient pas les différences de gains entre celui qui sanctionne et celui qui reçoit les points 57 . Les auteurs observent que 51% des sujets coopèrent et que 25% des sujets punissent les comportements de passager clandestin dans le second traitement. Ils comparent ce résultat avec celui obtenu dans le premier traitement. Dans ce traitement, seulement 61% des sujets coopèrent et 36% des sujets punissent (en attribuant 5.7 points de sanction en moyenne). Les observations de Falk, Fehr et Fischbacher (2000) suggèrent donc que les sujets qui sanctionnent les autres membres de leur groupe n’ont pas le désir de changer l’équité de l’allocation des gains.

Doit-on, au regard de ces résultats, rejeter l’hypothèse d’aversion à l’inégalité ? Deux arguments peuvent être avancés en faveur des modèles d’aversion à l’inégalité. Le premier argument consiste, tout en conservant l’hypothèse d’aversion à l’inégalité, à supposer que les comparaisons interpersonnelles ne portent pas sur les gains individuels mais sur les utilités des joueurs. L’idée est que si l’attribution des points de sanction non monétaire ne réduit pas les différences de gain, elle peut toutefois affecter l’utilité des sujets. En effet, on a mis en évidence dans le chapitre 2 que les sujets étaient sensibles à la désapprobation de leurs pairs et qu’ils contribuaient davantage au bien public afin d’éviter la désutilité de recevoir des sanctions non monétaires qui reflètent la désapprobation de leurs pairs. Si les sanctions non monétaires affectent l’utilité des sujets sanctionnés, alors, il peut être dans l’intérêt d’un agent de punir ses pairs afin de réduire les dissonances d’utilité des sujets. En considérant une définition élargie de l’aversion à l’inégalité où un individu compare non plus ses gains à ceux des autres individus mais son niveau d’utilité, alors les observations réalisées dans le traitement NP ne permettraient pas forcément d’invalider l’hypothèse d’aversion à l’inégalité.

Une deuxième argument consiste à mettre en exergue la multiplicité des motivations des sujets. L’aversion à l’inégalité n’est alors qu’une explication parmi d’autres des comportements individuels observés. A l’instar de Falk et Fischbacher (1998), on peut alors envisager de réconcilier dans un même modèle les approches fondées sur les intentions et les considérations distributives des agents. L’intérêt d’une telle démarche est d’augmenter le pouvoir explicatif du modèle, toutefois, au risque de complexifier considérablement la modélisation des comportements.

Notes
56.

FFF par la suite.

57.

Le traitement NP diffère du deuxième traitement de FFF (2000) dans la mesure où il n’existe pas de coût à sanctionner ni à être sanctionné.