Les acuités

L’acuité visuelle (AV) réfère à la vision spatiale et correspond au pouvoir de discrimination des détails fins d’une cible dont le contraste est maximal par rapport à son fond. Selon la tâche utilisée, il existe différents types d’acuité visuelle.

1- Définitions

On parle de détection lorsqu’il s’agit de percevoir la plus petite unité spatiale possible correspondant donc au minimum vi s ibile ,de l’ordre de 0.5 secondes d’arc selon Hecht et Mintz (1939) (cité par Riggs (1965)) (Fig. II-1). Cette discrimination est fonction du seuil différentiel de la rétine pour percevoir les différences d’éclairement.

Figure II-1 : La tâche de détection requiert de déterminer si le point ou la ligne est présent. (a) Stimulus clair sur fond sombre. (b) Stimulus sombre sur fond clair (tirée du site http://webvision.med.utah.edu/).

La résolution réfère quant à elle au pouvoir séparateur de l’œil et est évaluée en appréciant l’écart séparant deux objets constituant le minimum separabile (Fig. II-2).

Figure II-2 : La tâche de résolution consiste à percevoir les différents éléments composant les stimulus comme des entités distinctes. (a) Cible composée de deux points. (b) Réseau. (c) Damier (tirée du site http://webvision.med.utah.edu/).

L’image rétinienne de deux points sources consiste en deux fonctions de diffusion de ces points, compte tenu des distorsions inhérentes aux milieux optiques de l’oeil. Ces deux points sont juste résolus s’ils respectent le critère de Rayleigh c’est-à-dire si le pic de diffusion d’un point correspond au premier creux de la fonction de diffusion de l’autre point (Fig. II-3).

Figure II-3 : Représentation du critère de Rayleigh pour juste résoudre les deux points (tirée du site http://webvision.med.utah.edu/)

Si les pics de diffusion des deux objets à résoudre sont plus rapprochés, ils ne peuvent être discriminés l’un de l’autre et sont perçus comme une seule entité (Fig. II-4).

Figure II-4 : Représentation de deux lignes, de leur fonction de diffusion et de leur perception par un sujet. (a) Les deux lignes sont résolues. (b) Les deux lignes ne peuvent être résolues et sont donc perçues comme une seule entité (tirée du site http://webvision.med.utah.edu/).

Cette acuité correspond à l’”  acuité Vernier  ” (Fig. II-5). Le plus petit écart perceptible entre deux cibles (points ou lignes) forme un angle , exprimé en radians et calculé selon la formule suivante :

L’inverse de cet angle constitue l’acuité angulaire (1/).

Figure II-5 : Exemples d’acuité Vernier. Il s’agit de percevoir la brisure ou la discontinuité caractérisant le stimulus (tirée du site http://webvision.med.utah.edu/).

L’acuité visuelle fondée sur cet angle minimum de résolution (AMR 6 ), peut être exprimée soit en termes d’angle visuel (2 min. par exemple), soit par l’inverse de cet angle (1/2), soit sous la forme d’une fraction décimale (0.5 dans cet exemple). Elle est également rencontrée sous une forme logarithmique de base 10 de l’angle minimum de résolution, connue sous le nom de LogAMR ou LogMAR et reconnue à l’échelle internationale (Bailey, 1980). Ainsi, si l’AMR est égal à 2 min., l’acuité visuelle exprimée en LogMAR équivaut à +0,3. Depuis les travaux de Helmholtz à la fin du XIXème siècle, la référence de normalité relative à l’angle minimum de résolution est fixée à 1 minute d’arc. Cette valeur a été confirmée plus récemment (Arden, 1988). Du fait qu’il n’est pas rare de mesurer des acuités inférieures à 1 minute d’arc, il est préférable de parler de vision standard plutôt que de vision normale pour référer à la valeur de 1 minute d’arc (ou 1/60°), comme le soulignent Burian et von Noorden (1974).

En France, les cliniciens notent l’inverse de l’angle minimum de résolution sous la forme d’une fraction décimale dont le dénominateur est 10 pour les acuités comprises entre 1/10ème et 10/10èmes. Pour les acuités inférieures à 1/10ème, le numérateur reste fixé à 1 et le dénominateur prend des valeurs supérieures à 10. Pour reprendre notre exemple ci-dessus, si =2 min. alors AV=1/2 ou 0.5 en fraction décimale, soit 5/10èmes en notation Monoyer. Cependant, cette notation ne renseigne pas sur les conditions d’examen, notamment la distance d’observation, ce qui rend difficile le calcul d’une conversion en d’autres types de notations. D’autre part, elle crée la confusion dans l’esprit des patients qui considèrent comme maximale une acuité visuelle de 10/10èmes et minimale une acuité de 1/10ème.

La perception de la localisation relative de détails visibles détermine le minimum de discrimination spatiale , également appelé “ hyperacuité ”. Elle consiste à réaliser une mesure d’acuité Vernier (Fig. II-5) couplée à une tâche d’alignement. Les seuils d’hyperacuité sont en général inférieurs à 15 secondes d’arc. La notion d’hyperacuité vient du fait que ces seuils sont inférieurs au diamètre d’un cône fovéal de l’ordre de 30 minutes d’arc.

Enfin, la localisation d’une caractéristique critique s’il s’agit d’optotypes angulaires (brisure des crochets de Snellen ou des anneaux de Landolt) ou l’ identification de cette forme s’il s’agit d’une cible morphoscopique (lettres, chiffres ou dessins) reflète le minimum legibile , c’est-à-dire l’acuité de contour (Riggs, 1965) ou encore l’acuité morphoscopique , classiquement testée en clinique courante. Dans ce cas, l’acuité visuelle prend en compte, au-delà de la simple détermination de la résolution optique, un traitement de plus haut niveau de l’information visuelle perçue. C’est d’ailleurs cette acuité morphoscopique qui est généralement testée en vision de près au moyen d’une tâche de lecture (cf chapitre III). La taille angulaire des caractères influe bien sûr sur le taux de lecture (Legge, Pelli et al., 1985 ; Mansfield et al., 1996) puisque celui-ci est optimal (de l’ordre de 230 mots / min.) pour des caractères dont la taille est comprise entre 0.3° à 2° chez le sujet bien voyant (Legge, Pelli et al., 1985). En deçà et en delà, les limites inhérentes au pouvoir de résolution de l’œil d’une part et à la poursuite visuelle d’autre part, entraînent respectivement un déclin des performances de lecture (Fig. II-6).

Figure II-6 : Effets de la taille des caractères sur le taux de lecture. Les données de 4 sujets sont reportées ici, en fonction de la polarité du contraste ou des conditions de lecture. La ligne continue représente la moyenne des taux de lecture obtenus pour chacune des tailles de caractère étudiée (d’après Legge, Pelli et al., 1985).

Dans le cas de basse vision, la taille des lettres est un paramètre crucial puisque la majorité des aides optiques en vision de près sont fondées sur le principe d’agrandissement sur la rétine de la taille de l’objet considéré. L’intégrité du champ visuel central semble être un paramètre déterminant (Rayner & Bertera, 1979) puisque, dans le cas où il est intact, les performances sont similaires à celles de “ sujets normaux ” dans le sens où elles sont optimales pour une large gamme de tailles. Celle-ci s’étend de 3° à 6° pour les sujets atteints de basse vision et permet des taux de lecture s’échelonnant entre 90 et 160 mots / min. (médiane = 130 mots / min.). Il convient donc de noter que, dans ce cas, un agrandissement excessif nuit plus qu’il n’aide. Par contre, lors d’atteinte du champ visuel central, le taux de lecture maximal est faible, entre 0 et 68 mots / min. (médiane = 25 mots / min.), et est obtenu pour des lettres de 12 à 24° (Fig. II-7).

Figure II-7 : Lien entre le taux de lecture et la taille optimale des caractères. Chaque lettre représente un patient atteint de basse vision. Les lettres majuscules représentent ceux dont le champ visuel central est intact, à l’inverse des lettres minuscules. Un sujet normal (non montré ici) aurait un taux de lecture d’environ 250 mots / min. à environ 0.4° (Legge, Pelli et al., 1985) (d’après Legge, Rubin et al., 1985).

L’acuité visuelle dépend également de l’aire rétinienne stimulée puisque, compte tenu de la densité des cônes dans l’aire fovéolaire, l’acuité y est la meilleure et chute avec l’excentricité (Fig. II-8).

Figure II-8 : Effet de l’excentricité sur l’acuité visuelle (exprimée en notation décimale) (d’après Westheimer, 1992).

Au-delà de 2 degrés d’excentricité, l’espacement des cônes ne peut en soi expliquer cette baisse de l’acuité visuelle ce qui semble indiquer que d’autres facteurs post-réceptoraux seraient impliqués.

L’évaluation de l’acuité visuelle en clinique courante utilise classiquement des cibles à fort contraste, noires sur fond blanc. Cependant, dans des conditions plus naturelles, un contraste proche de 100% est rarement atteint. La compréhension de la perception visuelle ne se limite donc pas à l’étude de la seule fonction de résolution, sous-tendue par la mesure de l’acuité visuelle. La prise en compte du contraste et de la sensibilité au contraste est également importante, de par son rôle dans la reconnaissance de formes.

Notes
6.

“ MAR ” en anglais pour “ minimum angle of resolution ”