Echelle de Ferris et Bailey

Cette échelle est fortement inspirée de celle de Bailey et Lovie créée en 1976 et adaptée à l’examen des acuités comprises entre 5/10èmes et 1/40ème, tout en couvrant une plus large gamme allant de 10/10èmes à 1/50ème (Bailey & Lovie, 1976). Les échelles de loin et de près de Bailey et Lovie ont permis de formaliser l’utilisation de la progression géométrique de la taille des optotypes d’une ligne à l’autre. Elles sont conçues en termes d’angle minimum de résolution (AMR) mais sont basées sur le constat qu’une progression géométrique d’angles minimums de résolution équivaut à une progression arithmétique de leur logarithme, d’où la terminologie de logAMR ou LogMAR 10 .

L’échelle d’acuité visuelle de loin de Bailey et Lovie est construite de façon très rigoureuse (Johnston, 1991) de façon à limiter les artefacts pouvant biaiser les mesures d’acuité et à présenter une tâche d’égale difficulté à chaque étape de l’examen. Ainsi, en fonction de la distance d’observation, chaque lettre, créée sur la base d’une matrice de 5 x 4, sous-tend un angle visuel de 5’ d’arc de hauteur avec une épaisseur de trait de 1’. La taille réelle des lettres pour sous-tendre ces 5’ d’arc est bien sûr fonction de la distance d’observation 11 mais leur taille rétinienne reste la même quelle que soit la distance de perception. La lisibilité des lettres présentées est à peu près équivalente et leur nombre par ligne (5 lettres) est maintenu constant, de sorte que le fait d’autoriser une erreur par ligne conserve le même sens tout au long de l’échelle. Ce n’est en effet pas le cas pour les échelles dont le nombre de lettres par ligne augmente parallèlement à la diminution de leur taille. Leur espacement au sein d’une même ligne est égal à la largeur d’une lettre de la ligne considérée. Les interlignes sont également proportionnels à la hauteur des lettres constituant la ligne suivante. La progression géométrique de la taille des lettres d’une ligne à l’autre est effectuée selon un facteur de 1,26 (Bailey & Lovie, 1976), comme cela avait été suggéré quelques années auparavant (Ogle, 1953 ; Sloan, 1959). La taille des lettres varie donc de 26% ou 0.1 unité log entre deux lignes successives de l’échelle et double toutes les trois lignes. Ceci rend cette échelle pertinente pour l’examen des basses visions, sans pour autant nécessiter la présentation d’un nombre élevé de lignes (Westheimer, 1979) (Fig. III-2). Cette progression géométrique présente également l’avantage d’apprécier les modifications de l’acuité visuelle et ce, aussi bien pour les bonnes visions que pour les basses visions. Ceci signifie qu’une amélioration d’un même nombre de lignes, que ce soit en haut ou en bas de l’échelle, représente le même gain en termes d’acuité visuelle.

Figure III-2 : Combien de lignes doit comporter une échelle ? Suffisamment pour être précise, mais pas trop pour ne pas être difficile à utiliser… (d’après Johnston, 1991).

Sur ce modèle, l’échelle de Ferris et Bailey a été développée en 1982 pour les besoins d’une étude clinique (“ Early Treatment Diabetic Retinopathy Study ”), ce qui lui vaut son nom d’échelle ETDRS (Ferris, Kassoff, Bresnick & Bailey, 1982) (Fig. III-3).

Figure III-3 : Echelle de Ferris-Bailey (d’après Meillon et Rocher, 1999).

L’échelle de Ferris et Bailey se distingue de l’échelle de Bailey et Lovie de par la typographie utilisée. L’échelle ETDRS utilise les dix lettres de Sloan, chacune caractérisée par un score de difficulté homogène, fondé sur la fréquence de lecture correcte au seuil d’acuité visuelle (Sloan, Rowland & Altman, 1952). La composition des 14 lignes a été effectuée de telle sorte que la somme des scores de difficulté des 5 lettres constituant chaque ligne soit homogène et de niveau intermédiaire.

L’échelle ETDRS comprend trois planches d’optotypes rétro-éclairées afin d’obtenir un éclairage standardisé (Ferris & Sperduto, 1982). Deux servent à l’examen monoculaire de l’œil droit et de l’œil gauche alors que la troisième est dévolue à la détermination de la réfraction.

Ces échelles sont construites pour être utilisées à 4 m, mais la progression géométrique de la taille des lettres d’une ligne à l’autre simplifie la passation de l’examen à d’autres distances (notamment 3.2, 2.5, 2, 1.6 et 1.3 m) facilitée par la mobilité du support de l’échelle. Ainsi, chaque fois que la distance d’examen est diminuée d’un pas, il devrait être possible de lire une ligne supplémentaire.

Le nombre de lettres correctement lues, également appelé “ score ETDRS ” constitue un indice plus précis de l’acuité visuelle selon Bailey, Bullimore, Raasch et Taylor (1991). Speeg-Schatz et Zanlonghi (1999) décrivent la procédure de passation de l’échelle ETDRS et du calcul du score. Du fait de la constance du nombre de lettres par ligne et de la progression géométrique entre chaque ligne de cette échelle, une valeur moyenne de 0.02 unité LogMAR peut être attribuée à chaque lettre (Ferris et al., 1982). Etant donné qu’une ligne comprend cinq lettres, chacune correspond à 0.1 unité Log. De sorte que le score ETDRS augmente parallèlement à l’acuité visuelle (à l’inverse de la notation en LogMAR), on assigne généralement à cette valeur de 0.02 unité LogMAR un signe négatif.

Les échelles ETDRS autorisent une conversion rapide de l’acuité visuelle mesurée en un équivalent Snellen. Essentiellement utilisée dans les pays anglo-saxons, cette notation tient compte de la distance à laquelle l’examen est réalisé. Elle s’écrit :

Le détail critique de l’optotype utilisé repose sur la largeur du trait des lettres. La distance à laquelle le test est réalisé est fixée à 20 pieds puisqu’il s’agit du rapport de Snellen impérial (USA) 12 .

De nombreux facteurs peuvent affecter l’acuité visuelle. Ils sont dits d’ordre physiologique quand ils concernent le récepteur même, tels que l’âge (cf chapitre IV) (Verriest, 1971 ; Vola, Cornu, Carruel, Gastaud & Leid, 1983) ou encore l’excentricité rétinienne (cf chapitre I). Ils sont d’ordre physique lorsqu’ils sont indépendants de l’observateur mais liés au test utilisé, tels que la distance de présentation (Arden, 1988), le type de progression des optotypes ou encore la luminance du fond ou le contraste (Darras, 1995). Un phénomène d’ interaction de contour ou de groupement (“ contour integration ” ou “ crowding ”) intervient par ailleurs puisqu’il est plus facile d’identifier une lettre isolée sur un fond uniforme car la reconnaissance d’un optotype est affectée par son entourage (Flom, 1963). La lisibilité est maximale si l’écart entre deux lettres et celui entre deux lignes sont supérieurs à cinq fois la taille du détail à résoudre.

D’autre part, la difficulté de réaliser une mesure fiable et reproductible dans le temps afin de quantifier une quelconque modification du pouvoir de résolution est réelle (Arditi & Cagenello, 1993 ; Reeves & Hill, 1992 ; Reeves, Wood & Hill, 1993). Pourtant, la fiabilité des scores d’acuité obtenus est importante lorsqu’il s’agit de poser un diagnostic clinique, de noter la progression d’une pathologie évolutive, de tester l’efficacité d’un traitement particulier, ou encore, d’évaluer la performance sous différentes conditions d’examen (Reeves, Hill & Aspinall, 1987). Arditi et Cagenello (1993) évaluent à  0.1 unité Log la variabilité minimale des scores d’acuité réalisés au moyen de l’échelle ETDRS et effectués sous des conditions d’examen rigoureuses, avec un intervalle de confiance de 95%. Cette variabilité entre test et retest est communément fixée à 0.06 LogMAR (Frisén & Frisén, 1981) et peut atteindre 0.19 LogMAR pour des patients dont la pathologie est évolutive (Reeves et al., 1993). En d’autres termes, cette variabilité minimale est de l’ordre de plus ou moins une ligne ce qui implique qu’on ne peut conclure à une modification significative de l’acuité visuelle que lorsque la différence de scores équivaut à une ligne et demie d’optotypes environ.

Notes
10.

LogMAR = log10MAR

11.

pour sous-tendre 5’ d’arc (0.083°), une lettre doit mesurer environ 0.9 cm si elle est observée à 6 m, 1.8 cm si elle est observée à 12 m et 9 cm si elle est observée à 60 m.

12.

Le rapport de Snellen métrique (essentiellement utilisé en Grande-Bretagne) est quant à lui basé sur des distances de 4 m, 5 m ou 6 m.