II. La sensibilité au contraste spatial de luminance

Comme nous l’avons vu, l’acuité visuelle explorée en clinique courante analyse la vision centrale par sa capacité à résoudre des détails fins, à contraste fixe, proche du niveau maximal de 100%, plus caractéristique de conditions de laboratoire que de situations naturelles. L’examen de la sensibilité au contraste fournit des indications plus réalistes sur la capacités visuelles du patient dans des situations plus proches de celles de la vie quotidienne puisqu’elle ne tient pas seulement compte, comme le fait la mesure de l’acuité visuelle, de la taille ou, en d’autres termes, de la fréquence spatiale du stimulus, mais également de son contraste lumineux, c’est-à-dire de la variation de luminance existante entre deux surfaces contiguës.

L’importance du contraste a surtout été attestée au travers de l’activité de lecture (Brown, 1981 ; Legge, Rubin & Luebker, 1987). Les contrastes de luminance compris entre 0.1 et 1 ont peu d’effet sur le taux de lecture de caractères dont la taille varie entre 0.2 et 2° chez les sujets à vision normale. Les performances de lecture sont donc conservées dans une large gamme de tailles et de niveaux de contraste de luminance, attestant, par-là même, de la grande tolérance de la vision standard (Knoblauch, Arditi et al., 1991 ; Legge, Rubin & Luebker, 1987). Le taux de lecture devient cependant plus dépendant du contraste de luminance lorsque la taille des caractères excède ou est inférieure à cette gamme. La sensibilité au contraste de luminance est en effet maximale pour des lettres de 1°. Elle diminue lentement pour les basses fréquences spatiales correspondant à de gros caractères, et plus rapidement pour les hautes fréquences sous-tendant les lettres de petite taille. D’autre part, les auteurs ne rapportent aucun effet de la polarité du contraste, que ce soit à bas ou haut niveau de contraste, dans le cas de vision standard ou de milieux oculaires clairs, contrairement à la préférence obtenue pour des lettres blanches sur fond noir lors de milieux oculaires troubles (Legge, Pelli et al., 1985).

En clinique courante, l’examen de la fonction de sensibilité au contraste repose soit sur des méthodes objectives électrophysiologiques du type de l’ERG ou des PEV, sur lesquelles nous n’insisterons pas, soit sur des méthodes subjectives utilisant des mires, comme les réseaux sinusoïdaux, ou des optotypes tels que des lettres ou des dessins. De par leur facilité et leur rapidité de passation, les échelles imprimées sont les plus couramment utilisées. Par souci de concision, nous limiterons cette présentation à l’échelle employée au sein de nos protocoles expérimentaux, à savoir celle de Pelli-Robson. Cette échelle a pour but de mesurer le pic de la courbe de sensibilité au contraste, c’est-à-dire le seuil de contraste qu’un patient est capable de percevoir (Pelli, Robson & Wilkins, 1988 ; Rubin & Legge, 1989) pour une fréquence spatiale donnée. Bien que considéré comme un test de sensibilité au contraste, cette échelle ne permet pas d’obtenir une courbe complète de sensibilité au contraste, comme le font par exemple celles utilisant des réseaux sinusoïdaux. Constituée des 10 lettres de Sloan (V, R, S, K, D, N, H, C, O, Z) dont le profil de luminance est carré plutôt que sinusoïdal, l’échelle de Pelli-Robson teste en effet une seule taille 13 sur une gamme de contrastes s’échelonnant entre 0.91 et 0.0005 (Fig. III-4). Le contraste décroît de 0.15 unité log par triplet de lettres jusqu’à ce que la cible ne soit plus perceptible. Le niveau de contraste est déterminé lorsque deux des trois lettres formant un triplet sont correctement lues, ou, autrement dit, une seule erreur est admise. Des échelles différant de par l’ordre des lettres sont employées pour l’examen de chaque œil afin d’éviter tout effet de mémorisation.

Figure III-4 : Echelle de Pelli et Robson (d’après Waiss et Cohen (1991)).

Cependant, cette échelle s’intéresse principalement aux bas niveaux de contraste ce qui la rend peu adaptée lors de basse vision. Elle est par ailleurs contestée par certains auteurs qui lui reprochent son manque de fiabilité, notamment lors de cataracte et son imprécision par rapport aux échelles constituées de réseaux sinusoïdaux (Ginsburg, 1996). Legge, Rubin et Luebker (1987) ont par ailleurs confirmé la grande adéquation existante entre la sensibilité au contraste relevée lors d’une tâche de détection de réseaux sinusoïdaux (courbes en pointillés, figure III-5) et celle sous-tendant certaines activités quotidiennes telle que la lecture (lignes continues, figure III-5) pour un même sujet.

Figure III-5 : Comparaison de la fonction de sensibilité au contraste au cours d’une tâche de lecture et de détection de réseaux sinusoïdaux (d’après (Legge, Rubin & Luebker, 1987).

Quoiqu’il en soit, l’examen de la sensibilité au contraste au moyen de l’échelle de Pelli-Robson apporte des indications complémentaires à la seule mesure de l’acuité visuelle. Par ailleurs, sa grande reproductibilité (test / retest) (Ginsburg, 1996 ; Reeves et al., 1993) en fait un outil adapté à la mesure de la sensibilité au contraste dans le temps.

Notes
13.

Equivalant à 0.5° d’angle visuel à une distance d’observation conseillée de 3 m soit 1.5° à 1 m, distance à laquelle l’échelle est généralement employée dans le cas de basse vision.