3- Questions et alternatives

Etant donné la faible littérature sur l’identification de formes dans le cas de déficit visuel sévère, plusieurs questions sont à l’origine de cette étude.

La première, comme énoncé ci-dessus, concerne le rôle des basses fréquences spatiales dans l’identification de formes . L’idée sous-jacente est de déterminer si des patients atteints de DMLA, les privant de vision précise, peuvent toutefois identifier des formes sur la base d’informations véhiculées par les basses fréquences spatiales. Nous postulons que, quelle que soit la nature de l’atteinte de la fonction de sensibilité au contraste lors de basse vision 29 , les basses fréquences restent disponibles aux patients et sont suffisantes pour permettre l’identification de formes plus ou moins complexes.

Nous nous interrogeons par ailleurs sur la relation entre les performances d’identification d’images , sous-tendue par la sensibilité aux basses fréquences spatiales, et les mesures cliniques d’acuité visuelle et de sensibilité au contraste . Il est généralement admis que ces dernières sont de bien piètres prédicteurs de la vision fonctionnelle d’un individu, notamment en ce qui concerne l’acuité visuelle (Sunness, 1991 ; Thibos et al., 1994). Afin de vérifier ce point, un bilan ophtalmologique complet est réalisé pour chaque individu en complément du test d’identification de formes, ce qui nous permettra d’examiner les éventuelles corrélations entre l’acuité visuelle et la performance d’identification d’une part, et la sensibilité au contraste et cette même performance, d’autre part. En d’autres termes, les patients dont l’acuité et/ou la sensibilité au contraste est atteinte de façon massive présentent-ils indubitablement des perturbations de l’identification de formes plus importantes que ceux qui manifestent une atteinte visuelle moindre ?

Une troisième question concerne l’ évolution des performances des patients à cette tâche d’identification de formes après traitement par photocoagulation au laser . Notre but n’est pas de tester l’efficacité de ce traitement mais plutôt d’examiner si les performances d’identification des patients sont liées dans le temps avec leur état visuel et rétinien. Cette question est une extension de la précédente dans la mesure où il ne s’agira plus de comparer la vision évaluée au moyen des tests cliniques classiques avec les performances d’identification à un temps t, mais plutôt l’évolution de chacune de ces différentes mesures avant traitement par rapport à après celui-ci. L’idée sous-jacente est d’une part de déterminer si ces deux familles de mesures (AV et SC / tâche d’identification) évoluent dans le même sens, et d’autre part si l’une semble plus sensible que l’autre pour détecter des modifications de l’état visuel général. Chaque patient est ainsi examiné à trois reprises dans un intervalle de temps de 3 mois plus ou moins 15 jours.

Notre postulat est qu’à long terme, les performances d’identification des patients devraient s’améliorer, tout comme leur acuité visuelle et leur sensibilité au contraste. Cependant, ces gains pourraient s’effectuer dans différentes proportions compte tenu des difficultés relatives de ces tâches. Ainsi, nous supposons que si une amélioration des performances est observée, elle doit être plus évidente pour des tâches impliquant des stimulus simples tels que des lettres (AV et SC).

Enfin notre dernière interrogation porte sur le rôle du contexte dans la reconnaissance de formes lors de Dégénérescence Maculaire Liée à l’Age . Certaines études menées chez le sujet sain ont montré que l’identification d’un objet est facilitée lorsque celui-ci est présenté dans son contexte (un canapé dans un salon par exemple) par rapport à la situation où il apparaît dans un environnement incongru (un canapé dans une scène de rue pour poursuivre le même exemple) (Biederman, 1972 ; Biederman, Glass & Stacy, 1973 ; Biederman, Mezzanotte & Rabinowitz, 1982). Selon ces auteurs, la transgression de cette règle de probabilité de la présence d’un objet dans une scène affecte l’identification de façon massive. Pour une revue de la littérature sur cet effet de contexte, le lecteur peut notamment se référer au chapitre de Boucart (1996). Cependant, dans le cas de déficit visuel sévère, il est possible de considérer que le contexte peut soit contribuer à l’identification de la forme en fournissant au patient un indice sur les objets susceptibles de s’y trouver, soit, au contraire, perturber sa reconnaissance en ajoutant trop de détails à la scène, la rendant ainsi plus complexe et donc plus ambiguë. Pour tenter de répondre à cette question, nous utilisons trois types d’images dont des photographies de scènes naturelles qui requièrent une opération supplémentaire de ségrégation de la forme du fond, fondée sur la perception des contrastes de luminance. De ce fait, nous formulons l’hypothèse que le contexte nuit plus qu’il n’aide à l’identification de la forme lors de basse vision, d’autant plus lors d’atteinte du champ visuel central.

Par ailleurs, les deux autres catégories de stimulus, à savoir des dessins en contours ou texturés, permettent de déterminer si une simple texture peut fournir un indice pouvant faciliter l’identification, notamment en délimitant les différentes parties de la forme globale, par rapport à une forme uniquement définie par ses contours internes et externes.

De façon générale, l’objectif de ces diverses questions est double. Il s’agit d’une part de tester les différentes caractéristiques d’une image sous-tendant sa reconnaissance, en termes notamment de contenu fréquentiel et de type de stimulus. D’autre part, elles s’intéressent à la relation entre vision "clinique" et performances d’identification de formes, ainsi qu’à son évolution dans le temps, après traitement.

Comme suggéré précédemment, le protocole expérimental a été élaboré de manière à répondre au mieux à ces différentes interrogations, qui nous paraissent essentielles pour mieux comprendre les capacités perceptives de patients atteints de DMLA. Nous allons maintenant le présenter plus en détails.

Notes
29.

sensibilité diminuée sur l’ensemble du spectre fréquentiel, déficit spécifique dans les HFS ou translation par un facteur n de la sensibilité vers les BFS