UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2
ÉVOLUTION DES PAUSES DANS L’APPRENTISSAGE DE L’INTERPRÉTATION CONSÉCUTIVE
Thèse de Doctorat
en Lexicologie et Terminologie Multilingues
le 11 février 2002
Directeur de recherche
M. le Professeur Daniel GILE
Jury :
M. GILE Daniel, Professeur à l'Université Lumière Lyon 2, Directeur de thèse
M. ILG Gérard, Professeur à l'Université de Genève
M. SETTON Robin, Professeur à l'Université de Genève
M. BOISSON Claude, Professeur à l'Université Lumière Lyon 2

à mon père et à la mémoire de ma mère

L’interprète a pour mission d’aider des individus ou des groupes humains à mieux se connaître, à mieux se comprendre, plus encore à davantage se respecter mutuellement et, s’ils le désirent, à se mettre d’accord.
Jean Herbert,1952, « Manuel de l’interprète ».

AVANT-PROPOS

La présente thèse examine les pauses en interprétation de conférence, à différents niveaux de formation et d’expérience. L’intérêt d’une telle analyse consiste en ce qu’elle peut contribuer à développer la recherche sur les caractéristiques essentielles de la production orale (dite « performance » linguistique) chez les interprètes de conférence. Bien que ce thème soit de pertinence aussi bien de la formation des interprètes que de l’évaluation qualitative de l’interprétation (par ex., Kopczynski 1981), la performance linguistique des interprètes n’a toutefois été examinée de façon systématique que dans des études relativement peu nombreuses (par ex., voir ch. 2, section 6).

Les pauses peuvent être considérées comme les indices d’un manque d’aisance dans l’expression (voir ch. 1, section 4.3). En réalité, elles ont parfois une fonction stylistique ou rhétorique ; il est donc discutable de les assimiler aux hésitations, au détriment de leur fonction stylistique, et il serait plus exact de ne considérer, en tant qu’indices d’un manque d’aisance, que les pauses d’hésitation. Il est pourtant quasiment impossible de différencier ces dernières par rapport aux autres pauses, et de nombreuses études linguistiques ne font pas cette distinction (voir ch. 2, sections 5 - 5.2).

Une telle perspective va dans le sens de l’évaluation de l’aisance « par défaut » (voir ch. 1, section 4.3). Autrement dit, on associe un débit fluide à une fréquence limitée, voire imperceptible des fautes de production, comme les faux départs et les pauses ; en revanche, plus ces fautes sont évidentes (par ex., plus la durée des pauses par rapport à la durée totale du discours est grande), moins le débit est régulier et fluide.

Sur cette toile de fond, le point de départ de notre étude est l’observation, chez de nombreux auteurs (voir ch. 1, section 4.1, ch. 5, section 4.1), que l’aisance du parler fait partie: (i) des aptitudes à développer chez les étudiants en interprétation ; (ii) des compétences professionnelles chez les interprètes chevronnés.

Cette observation donne lieu aux questions suivantes:

  1. l’aisance du débit évolue-t-elle réellement le long de la « courbe d’apprentissage » de l’interprète ? ;
  2. étant donné que de nombreux interprètes n’ont pas une seule langue d’expression, y-a-t-il une différence entre le degré d’aisance en langue maternelle et étrangère ?

Notre étude quantitative des pauses, dans des interprétations consécutives réalisées par des étudiants en interprétation et des interprètes professionnels, permet d’examiner ces questions. De plus, les commentaires des sujets, recueillis après-coup, permettent d’analyser les explications données pour l’hésitation (par ex., recherche d’un mot, difficulté de compréhension du discours original etc.). Bien que de telles explications reflètent une perspective personnelle et subjective, elles peuvent fournir des informations sur les facteurs susceptibles d’interrompre ou de ralentir le débit de l’interprète.

Notre travail comporte deux parties, qui correspondent aux deux volumes de la thèse. La première partie est divisée en cinq chapitres (1-5), dans lesquels nous présentons les prémisses théoriques de notre étude expérimentale et nos hypothèses. Dans la deuxième partie de la thèse, divisée en deux chapitres (6 et 7), nous illustrons notre travail expérimental sur les pauses.

Dans la première partie de la thèse, le premier chapitre introduit le thème de l’aisance de l’expression en interprétation de conférence. Après avoir esquissé un panorama général de l’interprétation, en tant que profession et objet de recherche, nous examinons l’importance de l’aisance dans l’expression en tant que compétence chez l’interprète. Dans ce cadre général, nous expliquons l’intérêt de l’étude quantitative des pauses, en tant qu’indice de l’aisance du débit.

Dans le deuxième chapitre, nous examinons différentes perspectives sur l’étude des pauses. Après avoir expliqué la distinction fondamentale entre les pauses vides et pleines, nous illustrons différentes perspectives théoriques sur les pauses (par ex., sur leur rôle dans la production langagière, dans la mise en relief des unités de sens aux fins de la compréhension etc.). Enfin, nous décrivons plusieurs études des pauses en interprétation de conférence.

Le troisième chapitre analyse les difficultés et les contraintes qui caractérisent l’interprétation, à savoir la nécessité d’assimiler et de restituer, dans un délai court, des idées formulées par quelqu’un d’autre, souvent sur un sujet peu familier. La discussion prend en considération surtout l’interprétation consécutive, dont nous examinons les difficultés dans le cadre théorique des modèles d’Efforts de D. Gile (par ex., 1995). L’analyse met en relief les problèmes que peut provoquer l’emploi des notes, aussi bien en phase d’écriture qu’au moment de la relecture.

Le quatrième chapitre présente une étude pilote, dans laquelle nous avons recueilli, auprès d’un échantillon d’étudiants en interprétation, l’explication fournie pour les pauses faites pendant un exercice d’interprétation consécutive. Cela nous permet de proposer un classement provisoire des facteurs auxquels les étudiants en interprétation, ou les interprètes, attribuent leurs pauses.

Dans le cinquième chapitre, nous examinons des perspectives théoriques sur le développement de l’aisance d’expression. En particulier, nous donnons du relief aux différentes compétences dont dépend l’aisance, ainsi qu’aux modèles théoriques qui permettent de décrire ou d’expliquer son évolution. Après avoir évoqué des études qui examinent les compétences de l’interprète à différents niveaux de formation et d’expérience, nous terminons ce cinquième chapitre (ainsi que la première partie de la thèse) en formulant les hypothèses qui font l’objet de notre étude expérimentale.

La deuxième partie de la thèse contient les chapitres 6 et 7, dans lesquels nous présentons notre étude expérimentale des pauses en interprétation consécutive.

Le sixième chapitre illustre la méthodologie que nous avons utilisée (description de l’échantillon, conditions de déroulement de l’étude, analyse quantitative des pauses, étude des commentaires rétrospectifs des sujets sur les pauses, tests statistiques).

Dans le septième chapitre, nous examinons les résultats de l’étude. Nous résumons d’abord les données brutes et les résultats de l’analyse statistique. Il s’agit d’un nombre limité de tableaux, qui permettent au lecteur de situer les tests statistiques et l’évaluation des hypothèses par rapport aux informations recueillies pendant la partie pratique de l’étude. A la lueur de l’analyse des données, nous évaluons nos hypothèses sur les pauses en interprétation consécutive.

La conclusion du chapitre, et de la thèse, présente des commentaires rétrospectifs sur notre méthodologie, en vue d’études futures. En fin de comptes, notre étude ne représente qu’un apport limité à la recherche sur une problématique complexe. Le chemin est long à parcourir: d’une part, nos prémisses sont fondées sur le travail d’autres chercheurs ; d’autre part, nos conclusions proposent une perspective ouverte et identifient des aspects de l’étude qui pourraient faire l’objet de recherches ultérieures.

REMERCIEMENTS

Que tous ceux et celles qui ont contribué à la réalisation de cette thèse soient chaleureusement remerciés:

Daniel Gile, mon directeur de thèse, qui non seulement m’a offert des conseils indispensables, mais qui a su également m’encourager à cueillir le fruit de tout apport critique et, qui plus est, à garder l’élan de l’enthousiasme initial ;

Giuseppe Nocella, collègue à l’École d’Interprètes et de Traducteurs de Forlì, dont les conseils en matière de statistique ont été fondamentaux ;

Michèle Lorgnet, Elio Ballardini et Paolo Scampa, collègues à Forlì, qui ont fourni de précieux commentaires linguistiques sur le manuscrit final.

Je tiens également à remercier tous les collègues et les étudiants qui ont fourni un apport indispensable au travail expérimental présenté dans la thèse, ainsi qu’à la phase préliminaire de l’étude:

Rachele Agnusdei, Valentina Algeri, Amalia Amato, Caterina Balasso, Chiara Benzi, Valeria Bisignano, Marcella Bracco, Simona Caldera, Marco Cencini, Manuela Chiarello, Letizia Cirillo, Fabio Cittolini Morassutti, Anna De Poli, Elena Di Concilio, Luigina Di Dio, Ilaria Di Francesco, Irene Dolzani, Alessia Fabbri, Novella Fanti, Francesca Ferri, Andrea Florissi, Marco Gambetti, Giuliana Garzone, Cinzia Giammarchi, Elisa Giusti, Paola Jalla, Giorgia Liviotti, Giulia Martinelli, Chiara Maucci, Cristina Mazza, Alessandro Messina, Lorenza Mioli, Claudia Monacelli, Marco Morbin, Nicola Nobili, Cinzia Paissan, Claudia Ricci, Barbara Rizzoli, Tania Rondanina, Claudia Salerno, Francesca Simonetto, Carmine Suriano, Francesca Tavanti, Elena Tomassini, Ira Torresi, Claudia Vettore, Adriana Villamena, Katia Zanarini, Amalia Zen.

Pour Manuela Chiarello (1973 - 2000), ce remerciement s’associe à l’inoubliable souvenir qu’elle a laissé à tous ceux qui l’ont connue.