3.2 LA FORMATION DES CHERCHEURS ET L’ORIENTATION ACTUELLE DE LA DISCIPLINE

A part quelques rares exceptions, comme A. Mizuno et S. Viaggio, les auteurs de la plupart des études sur l’interprétation sont rattachés à des universités (Pöchhacker 1995c). 6 Étant donné que Mizuno et Viaggio produisent principalement des écrits théoriques, les recherches empiriques semblent être réalisées essentiellement dans le cadre de la recherche universitaire.

Certains travaux, par exemple les recherches de Sabatini et de Mazza, sont des mémoires de fin d’études. Comme les thèses, qui sont souvent réalisées par des enseignants-praticiens (par ex., Lamberger-Felber 1998, Shlesinger 2000), les mémoires occupent une place importante dans la recherche en interprétation. Dans de nombreuses écoles d’interprétation et de traduction, l’obtention du diplôme final est subordonnée à la soutenance d’un mémoire – par exemple, à Heidelberg, à Trieste et à Vienne (Gile 1995a: 22). De même, le mémoire est réglementaire à l’École de Forlì (Université de Bologne, Italie), où nous enseignons depuis 1994. Depuis les premiers mémoires sur l’interprétation, soutenus en 1996, les étudiants de l’École de Forlì en ont réalisé une trentaine. A l’heure actuelle, la production moyenne est d’à peu près cinq mémoires par an sur l’interprétation. 7

Dans la plupart des cas, les auteurs des mémoires ne font probablement plus de recherche après l’obtention du diplôme (Pöchhacker 1995b: 21) ; toutefois, D. Gile (1995a: 22) observe que « certains réalisent à cette occasion de véritables projets de recherche, qui peuvent donner lieu à des publications ». Les thèmes purement argumentatifs ou spéculatifs ne semblent pas trouver de place dans les mémoires de fin d’études sur l’interprétation, au moins dans notre expérience personnelle. Dans le cadre du développement de la recherche sur l’interprétation à l’Université de Trieste, L. Gran & M. Viezzi (1995: 115) soulignent les avantages des mémoires de recherche ; non seulement ils constituent un « banc d’essai » pour les jeunes chercheurs, mais ils peuvent contribuer également au développement de la recherche institutionnelle.

Étant donné que ces recherches utilisent souvent comme sujets des étudiants en interprétation, on peut se demander dans quelle mesure elles représentent l’activité des interprètes professionnels. Le thème de la « validité écologique » des études a été évoqué dans la section précédente. Selon G.B. Flores D’Arcais (1978), il n’est pas indispensable que les études sur l’interprétation simulent des conditions « réelles ». De même, D. Gile (1994: 44) n’exclut pas l’intérêt des études qui utilisent comme sujets des étudiants, à condition de vérifier dans quelle mesure ils sont comparables avec des interprètes professionnels. Dans ce but, il suggère de comparer des échantillons des deux catégories. Cette démarche a été suivie dans différentes études (ex., Esposito 1999, Tassora 1999: voir ch. 2, section 6 ; ch. 5, section 4.1.3 ), qui évaluent des interprétations en fonction du niveau d’expérience des interprètes. La présente recherche compare elle aussi des étudiants, à deux stades différents du cursus, avec des interprètes professionnels.

Dans une discipline aussi récente que la recherche en interprétation, même des projets modestes peuvent être utiles. Par exemple, ils peuvent représenter pour les étudiants en interprétation la première étape d’une formation à la recherche, en vue de la réalisation d’études plus ambitieuses (Gile 1990b, 1995a ; Shlesinger 1995). Une telle approche paraît d’autant plus sensée, que de nombreux praticiens qui s’engagent dans la recherche sur l’interprétation n’ont pas de formation scientifique préalable (Shlesinger 1995: 8). M. Shlesinger (1995: 19) considère, d’après A.M. Graziano & M.L. Raulin (1989), qu’une discipline scientifique peut acquérir davantage de rigueur méthodologique au fur et à mesure qu’elle se développe. En d’autres termes, les résultats des premières études peuvent représenter le point de départ pour des recherches plus rigoureuses (échantillons plus représentatifs, moins de variables « parasites » etc.). De même, d’éventuels écarts entre les résultats expérimentaux et les attentes peuvent fournir eux aussi les prémisses d’études ultérieures.

F. Pöchhacker (1995c: 60) estime que les chercheurs ont intérêt à travailler dans une perspective large, sans mettre en exergue l’interprétation de conférence aux dépens d’autres formes d’interprétation (par ex., pour les média, auprès des tribunaux etc.). Étant donné la possibilité que le marché de l’interprétation s’orientera de plus en plus vers celles-ci au cours des prochaines années, Pöchhacker considère qu’une telle optique est réaliste et avantageuse. Il base cette considération sur les constatations suivantes: (i) une perspective large est susceptible de renforcer la recherche sur l’interprétation dans des pays où le marché n’est pas dominé par la seule interprétation de conférence (par ex., Australie, Canada) ; (ii) elle peut stimuler également un certain « éclectisme » dans la recherche sur la simultanée, en cernant des questions pragmatiques et sociolinguistiques, et non seulement psycho-/neurolinguistiques (voir 1.3.3). Cela va dans le sens des remarques de Gile et de Shlesinger, sur l’opportunité de n’entreprendre des recherches « difficiles » qu’après avoir acquis une certaine expérience scientifique. Effectivement, l’étude des aspects neurolinguistiques de l’interprétation présuppose un travail interdisciplinaire, probablement peu accessible au chercheur néophyte, tandis qu’une perspective sociolinguistique comporte normalement une initiation moins difficile.

En tout état de cause, Pöchhacker (1995c ; à p.) constate, dans des colloques récents, une plus grande variété d’approches et de perspectives que par le passé ; il observe également que, depuis quelques années, l’interprétation communautaire fait l’objet de nombreuses recherches.

Notes
6.

A l’époque de l’étude de Pöchhacker, Mizuno n’était rattaché à aucune université. Depuis quelques années, il travaille à l’Université Daito Bunka, à Tokyo.

7.

Il ne s’agit que de 5 % environ de la production totale de l’École. Beaucoup d’étudiants suivent le cursus de traduction, tandis que de nombreux mémoires concernent d’autres thèmes (terminologie, linguistique etc.).