3.3 LA SIMULTANÉE ET LA CONSÉCUTIVE DANS LA RECHERCHE

Dans la recherche en interprétation de conférence, certains thèmes sont en principe pertinents surtout à l’un ou à l’autre de deux modes principaux, à savoir l’interprétation simultanée et consécutive. Par exemple, plusieurs études ont utilisé des exercices d’écoute dichotique pour évaluer la distribution des fonctions linguistiques dans les hémisphères droit et gauche du cerveau (Gran & Fabbro 1988, Gran 1999). Bien que l’intérêt de ce thème ne se limite en principe pas à la simultanée, il est difficile d’étudier l’effet de l’écoute dichotique dans le contexte « naturel » de la consécutive (c’est à dire, sans casque). En revanche, l’étude de la prise de notes concerne surtout la consécutive.

Il y a également des recherches pertinentes aux deux modes. Par exemple, les études sur la qualité de l’interprétation de conférence n’excluent généralement de façon explicite ni l’une ni l’autre (Bühler 1986 ; Kopczynski 1994 ; Kurz 1993).

Dans l’ensemble, la recherche a réservé plus d’attention, du moins jusqu’à la moitié des années 90, à l’interprétation simultanée qu’à la consécutive. Une bibliographie des textes sur l’interprétation parus dans la période 1989-94 dénombre 149 et 46 écrits concernant la simultanée et la consécutive respectivement (Pöchhacker 1995b). De même, un recensement du contenu de la revue The Interpreters’ Newsletter pendant la période 1988-96 montre, parmi les articles qui concernent l’un ou l’autre des deux modes, une prépondérance nette de la simultanée (28 articles) par rapport à la consécutive (7 articles) (Mead 1997: 26).

Les recensements évoqués au paragraphe précédent comprennent tous les textes sur l’interprétation, non seulement les travaux de recherche proprement dits. Étant donné qu’un certain nombre des publications recensées par Pöchhacker et par Mead sont des textes didactiques ou des essais (par ex., Allioni 1989 ; Weber 1989, 1990 ; Tunc Ozben 1993), la quantité des travaux de recherche concernant la consécutive est encore inférieure à celle qu’on observe dans ces inventaires.

La position dominante de la simultanée dans la recherche relève probablement de deux facteurs: (i) son importance sur le marché professionnel de l’Europe Occidentale (voir section 2.3 du présent chapitre) ; (ii) l’intérêt de la comparaison entre des segments du discours original et leur reformulation, plus ou moins instantanée, dans une autre langue (par ex., études psycholinguistiques, éventuellement en fonction d’éléments perturbateurs comme l’écoute dichotique: Lawson 1967). De nombreuses études de la latéralisation cérébrale chez les interprètes, réalisées à partir des années 80, se basent elles aussi sur le mode simultané (Kurz 1995a, 1995b). Dans celles-ci, la compatibilité avec des tests d’écoute dichotique, difficiles à réaliser en consécutive, n’est pas le seul avantage du mode simultané. Par rapport à la consécutive, la simultanée offre également l’avantage de se dérouler en un seul temps ; il est donc possible de faire coïncider les différents types de test et d’évaluation (écoute dichotique, électroencéphalogramme etc.) avec les processus cognitifs faisant partie de l’interprétation. En consécutive, il est difficile de coordonner l’évaluation de l’activité cérébrale par rapport aux processus cognitifs concernés, car l’écoute et la restitution du message représentent deux phases distinctes (voir ch. 3, section 2).

Bien que l’objectif de cette section ne soit pas de présenter une synthèse de la recherche en interprétation consécutive, qui fait l’objet de notre thèse, les observations suivantes résument quelques tendances générales:

  1. là où nous avons de nombreuses études sur les aspects neurophysiologiques de la simultanée (activation des hémisphères cérébraux), la recherche empirique sur la consécutive n’a pas de thème dominant ;
  2. bien que la consécutive ait été examinée dans nettement moins d’études que la simultanée, plusieurs thèmes (par ex., la qualité, la formation) concernent les deux modes ;
  3. les thèmes principaux de la recherche en interprétation sont donc bien représentés dans les études de la consécutive (par ex., la spécificité linguistique de l’interprétation ; la formation ; et la qualité du travail). La seule exception est la distribution cérébrale de l’activité langagière, qui n’a été examinée jusqu’à présent qu’en simultanée.

Dans ce cadre général, l’étude de la consécutive permet d’obtenir dans certains cas, à partir des notes de l’interprète, des informations indirectes sur les processus cognitifs qui interviennent pendant l’interprétation. Par exemple, si l’interprète restitue incorrectement un nom ou un chiffre qu’il a écrit de façon exacte, la possibilité d’une faute de compréhension est plus ou moins à exclure.

Pour certains types de recherche, la consécutive offre également l’avantage de ce qu’elle n’est pas soumise aux mêmes contraintes temporelles que la simultanée. Par exemple, le présent travail a pour objet les pauses de l’interprète en langue d’arrivée. Dans cette optique, les pauses en interprétation consécutive ne sont pas en principe étroitement liés au rythme de l’orateur, alors qu’il n’en est pas de même en simultanée. Pour cette raison, il a paru préférable d’examiner, dans notre étude, les pauses en interprétation consécutive.