2. LES PAUSES : EN LINGUISTIQUE, EN TECHNIQUE ORATOIRE, EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE

A partir de ce distinguo initial, il est possible de considérer les pauses dans plusieurs optiques spécialisées. Par exemple, la linguistique appliquée s’en tient souvent à une approche descriptive, qui met en exergue la fréquence et/ou la distribution des pauses ; les études de psycholinguistique identifient dans les pauses soit des repères aux fins de la compréhension, soit des indices des efforts cognitifs qui accompagnent la production linguistique ; les ouvrages de technique oratoire distinguent entre, d’une part, des pauses qui trahissent des problèmes de formulation et, d’autre part, celles qui donnent du relief au raisonnement de l’orateur.

Sur cette toile de fond, les sections 3, 4 et 5 du présent chapitre examinent l’étude des pauses dans le contexte de la recherche linguistique. Les études en question examinent la fonction des pauses dans les processus d’encodage linguistique (section 5.1) et dans la réception du message de la part de l’auditeur (section 5.2).

Dans le domaine de la technique oratoire, l’utilité des pauses est fonction de leur perception de la part de l’auditeur. D’une part, les pauses font partie du « langage non verbal » de l’orateur, comme l’expression du visage, la gestualité, la position du corps etc. (Bellenger 1979, réimprimé 1993: 72-73) ; l’emploi judicieux de ces éléments contribue à l’impact du message et à l’efficacité de la communication. D’autre part, des pauses mal gérées sont nuisibles au rythme et à l’impact rhétorique du discours. Il s’agit donc de savoir bien utiliser les pauses, non de les bannir. En fait, Bellenger (1979: 75) souligne que tout aspect du langage non verbal devrait être « volontaire et directement lié aux paroles pour les renforcer, les confirmer ou les nuancer ».

A certains égards, l’enseignement de l’interprétation diffère de la didactique traditionnelle des langues ; il a comme objectif le perfectionnement de compétences à la fois linguistiques (expression orale, compréhension de la langue parlée) et extralinguistiques (technique de la consécutive, de la simultanée). En tout état de cause, les études sur l’interprétation de conférence, comme les ouvrages de didactique des langues, offrent peu de conseils didactiques précis concernant la gestion des pauses dans la production orale. Il s’agit effectivement d’un thème qui est difficile à décrire de façon systématique.

Les textes sur l’interprétation expriment pourtant un certain consensus concernant l’importance de la maîtrise oratoire de l’interprète (voir ch. 1, section 4.1). Par exemple, les systèmes d’évaluation de l’interprétation mettent en exergue les pauses, surtout dans la mesure où elles sont considérées comme fâcheuses (Schjoldager 1996). Le rôle potentiellement perturbateur des pauses est identifié également dans des conseils aux interprètes sur l’emploi de la voix:

‘Pour nettoyer la forme il faut avoir le courage de s'écouter parler et de mesurer le poids que peut représenter dans une interprétation l'inutile remplissage en « heu », « hum » […] de s'écouter parler pour vérifier à quel point on brise la continuité du discours en fragmentant la syntaxe dans le débit ordinaire (par exemple: « monsieur le rapporteur nous /pause/ disait tout à l'heure l'énorme difficulté /pause/ intrinsèque de cette... ») - ce n'est pas parce que l'original laisse à désirer qu'on doit l'imiter, au contraire.

(http://www.aiic.net/en/tips/voix/trottier.htm).’

De tels commentaires considèrent les pauses en interprétation surtout comme des fautes de production ; elles n’examinent pas l’impact stylistique d’une distribution judicieuse des pauses.

Sur cette toile de fond, il y a eu peu de recherches empiriques sur les pauses en interprétation de conférence (voir section 6 du présent chapitre).