- Les pauses et les unitÉs d’encodage

Aussi bien Boomer (1965) que Barik (1968) soutiennent l’idée d’un encodage linguistique en deux phases (la création d’une charpente syntaxique et, par la suite, des choix lexicaux à l’intérieur de celle-ci).

Boomer (1965) identifie davantage de pauses après le premier mot de la proposition qu’à la jonction syntaxique (Boomer 1965). La tendance à marquer une pause après le premier mot, plutôt que tout à fait en début de proposition, suggère que l'encodage se divise en une première phase de sélection syntaxique et une deuxième étape basée sur la sélection lexicale. L’auteur (156) considère qu’une telle séquence s’accorde avec l’approche de la génération linguistique proposée par N. Chomsky (1959) et d’autres auteurs ; en d’autres termes, le choix du premier mot limite le locuteur à un certain nombre de structures ou tournures possibles, dans lesquelles il lui faut intégrer d’autres choix lexicaux pour compléter l’énoncé.

P.R. Hawkins (1971) critique Boomer à plusieurs égards (voir section 5.1 du présent chapitre). Par exemple, Hawkins considère que les conjonctions de coordination ne font pas partie des propositions qu’elles introduisent ; elles représentent plutôt une forme de « remplissage » préliminaire (Hawkins 1971: 285). Cette considération signifie que, dans le corpus de Boomer, la position des pauses qui suivent ces conjonctions est en réalité au début – non à l’intérieur – des propositions concernées. Par conséquent, l’hypothèse d’un encodage en deux étapes n’est pas confirmée par les données en question.

Dans l’échantillon étudié par Hawkins (voir section 5.1 du présent chapitre), deux tiers des pauses se situent aux jonctions entre des propositions. Les pauses concernées représentent trois quarts de la durée totale des pauses. L’auteur souligne donc l’importance de la proposition, aux fins de l’encodage du discours (Hawkins 1971: 386).

B. Butterworth (1980: 169) conteste lui aussi l’insistance de Boomer sur les pauses qui suivent le premier mot de la proposition. Les réserves de Butterworth se basent sur trois considérations principales, à savoir: (a) il ne s’agit là que de 20 % environ de toutes les pauses dans l’échantillon ; (b) elles ne se trouvent que dans 50 % des propositions examinées ; (c) la fréquence des pauses dans cette position est probablement fonction de la longueur et de la complexité de la proposition.

Malgré les réserves nombreuses sur l’analyse de Boomer, une étude contrastive de différentes variétes de production orale en français et en allemand corrobore en partie son hypothèse d’une élaboration linguistique en deux étapes (Faure 1980: 289-290). D’ailleurs, les résultats de cette étude suggèrent que, dans les deux langues considérées, les pauses se situent soit avant soit après le premier mot de la proposition. Toutefois, l’analyse distributionnelle des pauses dans cette étude n’est pas suffisamment approfondie pour permettre des conclusions définitives.

V. M. Holmes (1984) examine une « story continuation task », à savoir l'élaboration orale de la suite d'un récit. Tout en reconnaissant que la tâche proposée ne correspond pas à une improvisation proprement dite, Holmes argumente en faveur d'une planification basée sur des unités plus étendues que les propositions grammaticales. Étant donné cette capacité de prévoir plusieurs propositions à la fois, l’auteur considère que les sujets savent utiliser les pauses aux fins de l'effet « rhétorique ». Elle estime que, dans les recherches sur le discours spontané également, cette possibilité d'une fonction stylistique des pauses devrait être prise en considération.

Les interprétations différentes de la fonction des pauses dans la planification du discours suggèrent que les études psycholinguistiques n’ont pas abouti à des conclusions définitives. Cela s’explique en partie par la complexité de la production linguistique, en partie par la diversité des approches chez les différents chercheurs. Les études sont tantôt quantitatives et/ou distributionnelles, tantôt interprétatives ; certaines examinent des lectures, d’autres considèrent différentes formes de production langagière proprement dite ; certaines n’ont pour objet qu’une seule langue, d’autres sont des analyses comparatives (langue maternelle vs. langue étrangère ; comparaison de différentes langues maternelles, etc.).