- Commentaires sur la comprÉhension du message

Un point qui a été évoqué de façon sommaire en début de section est la nécessité que l’interprète assimile des interventions sur un thème qui ne lui est pas familier. En réalité, il s’agit d’une généralisation, car l’interprétation comporte différents degrés de préparation préalable.

Dans la production du discours, E. Goffman (1981: 172 et 227) identifie trois formes principales – à savoir, la réalisation d’un discours stocké préalablement en mémoire ; la lecture à voix haute ; et l’élaboration sans préparation préalable ni lecture. 39 Dans ce cas-ci, Goffman considère le discours comme « frais » ; autrement dit, il s’agit du « montage et [de] l’encodage impromptus et continus d’un discours, dans des conditions qui nécessitent une réponse immédiate à la situation et au public actuels (Goffman 1981: 227, notre traduction).40 J. Lehtonen (1982: 40) met en exergue une distinction ultérieure, selon que le discours est tout à fait « impromptu » (c’est à dire « frais », d’après Goffman) ou basé, de façon plutôt libre, sur une préparation préalable. 41 D’ailleurs, les textes lus ne représentent pas en réalité une catégorie uniforme, en ce sens qu’on peut distinguer entre les textes « oraux » (par ex., discours de bienvenue, conférences) et « écrits », au sens vrai du terme (par ex., communiqués, résolutions etc.) (Kopczynski 1982: 256). Même les textes destinés à être lus devant un auditoire (conférences etc.) sont parfois peu conformes à l’usage oral (« densité » lexicale limitée, emploi des conjonctions de coordination etc.) (Messina 1998).

Le discours que réalise l’interprète comporte lui aussi différents degrés de planification préalable, suivant les circonstances. A. Kopczynski estime qu’il ne s’agit pas d’une production tout à fait « impromptue », en ce sens que l’interprète suit le discours source ; le discours d’arrivée peut donc être considéré comme « élaboré sur-le-champ à partir d’un texte que l’interprète ne connaît pas à l’avance » (Kopczynski 1982: 257 ; notre traduction). 42 La réalité est beaucoup plus nuancée que ne le suggère cette définition. Par exemple, quand l’interprète a la possibilité de consulter préalablement le texte du discours source, le discours d’arrivée n’est plus élaboré à partir d’un discours source inconnu.

Il est donc difficile de généraliser sur le degré de préparation préalable des discours source et d’arrivée. P. Ovaska (1987: 16) illustre, de façon schématique, la diversité des situations possibles. Par exemple, il est possible qu’il s’agisse d’un discours non préparé, aussi bien pour l’orateur que pour l’interprète ; d’un discours source lu, que l’interprète a reçu à l’avance ; d’un discours lu, dont le texte n’a pas été fourni à l’interprète, etc.

Sur cette toile de fond, il paraît peu approprié de formuler des observations générales sur le manque de familiarité du sujet comme source de difficulté dans l’interprétation. Toutefois, dans la mesure où l'interprète assure souvent la communication dans des domaines spécialisés (médecine, droit, économie etc.), il s'y connaît effectivement moins que les orateurs et les auditeurs pour lesquels il travaille. L'emmagasinage de la terminologie du secteur ne lui permet pas de posséder la matière au même niveau que les experts. Par rapport à ceux-ci, il lui faut donc un effort de compréhension plus important. Les difficultés de compréhension qui découlent d'une connaissance incomplète du contexte sont examinées par la suite (voir ch. 4, section 4).

Notes
39.

Les termes utilisés par Goffman (1981: 172 et 227) sont « memorisation », « aloud reading » et « fresh talk ».

40.

“the extemporaneous, ongoing assembly and encoding of text under the exigency of immediate response to one’s current situation and audience” (Goffman 1981: 227).

41.

Le terme utilisé par Lehtonen et Ovaska est le mot anglais « extemporaneous ».

42.

“produced on the spot on the basis of a previously unknown text” (Kopczynski 1982: 257). Kopczynski définit de cette façon le mot anglais « extemporaneous », auquel il n’attribue donc pas le même sens que J. Lehtonen (1982).