2. Analyse introspective des pauses en consÉcutive

La fréquence et la durée des pauses dans la production du discours peuvent être quantifiées, à cela près qu’il est parfois difficile de les identifier ou de les délimiter (par ex., par rapport aux voyelles finales) (voir ch. 2, section 4). D’ailleurs, le degré de précision des données quantitatives dépend de la technique de mesurage ; par exemple, l’emploi d’un chronomètre ne permet qu’une mesure relativement grossière (voir ch. 2, section 4). En dehors de ces réserves, l’étude quantitative des pauses est basée sur des données objectives.

En ce qui concerne la fonction des pauses (voir ch. 2, sections 5 - 5.2), une certaine quantité d’informations peut être obtenue auprès des sujets dont le parler est analysé. Ces informations, recueillies à travers l’introspection (ou la rétrospection) des sujets, sont limitées. Par exemple, la démarche ne fournit pas d’informations directes sur les connaissances linguistiques implicites (c’est à dire, la compétence linguistique), dont se sert le sujet « en ligne » (Paradis 1994a: 401-404). Les commentaires intro-/rétrospectifs ne permettent de cerner que les fautes de production (dont les pauses) dont le sujet est conscient, ou dont il se souvient (Vik-Tuovinen, à p.). Il est donc improbable que le sujet fournisse des commentaires sur toutes les pauses, soit syntaxiques soit non syntaxiques (voir ch. 2, section 5.1), en ce sens qu’il n’est nécessairement conscient ni des unes ni des autres. Toutefois, les informations sur les activités conscientes, souvent associées à la production linguistique (par ex., planification, contrôle de la production), permettent de recueillir des commentaires sur l’origine de nombreuses pauses (difficulté lexicale, recherche d’un effet stylistique etc.).

De telles informations peuvent être recueillies en demandant aux sujets d’expliquer ou de commenter leurs pauses. Une démarche possible consiste à écouter la production orale « en direct » et à interrompre le sujet, pour lui demander des commentaires au fur et à mesure qu’il fait des pauses. Une alternative consiste à enregistrer le sujet et à lui faire écouter après coup l’enregistrement, pour obtenir des précisions sur les pauses. L’avantage de cette dernière démarche est qu’elle permet d’évaluer des discours ininterrompus. Dans la présente étude, elle a été utilisée pour obtenir, auprès d’un échantillon d’interprètes et d’étudiants en interprétation, des commentaires rétrospectifs sur les pauses en discours d’arrivée.

Le procédé a été testé pendant la période mai-octobre 1998, avec des étudiants en interprétation à l’École d’Interprètes et de Traducteurs de l’Université de Bologne (Italie), qui ont réalisé des interprétations consécutives pendant des séances de travail en tête-à-tête avec nous. Les sujets étaient des étudiants de 4e année, qui avaient donc pratiquement terminé le cursus de formation ; leur « combinaison linguistique » comprenait l’italien (langue maternelle) et l’anglais (première langue étrangère). Selon la classification des langues de travail de l’interprète, proposée par l’AIIC (http://www.aiic.net), l’italien et l’anglais étaient les langues A et B respectivement. 55

Presque toutes les consécutives ont été réalisées vers la langue A, à partir de discours improvisés, en anglais, par nous. Chaque fois, la consécutive a été enregistrée ; immédiatement après, le sujet a été invité à l’écouter et à commenter les hésitations principales. Dans ce but, le magnétophone a été arrêté après chaque hésitation, afin que le sujet puisse répondre à la question: « Y-a-t-il une raison particulière pour cette pause ? » La question a été posée rigoureusement de façon « ouverte », pour éviter des réponses en quelque sorte « pilotées » ; en d’autre termes, la réponse n’a jamais été suggérée par des questions du type « Cette pause est-elle peut-être due à un problème lexical ? ».

Notes
55.
Les langues A et B sont des langues « actives », vers lesquelles l’interprète travaille ; il s’agit de langue(s) maternelle(s) (« A ») et de langue(s) étrangère(s) active(s) (« B »). Les langues C sont des langues « passives », à partir desquelles l’interprète travaille vers ses langues A et B.