4. Commentaire gÉnÉral: l’importance des compÉtences extralinguistiques

Les sujets n’attribuent pas toutes leurs hésitations à des problèmes purement linguistiques (ex., prononciation, choix lexical etc.). Ils évoquent également des difficultés extralinguistiques, soit au niveau technique (ex., emmagasinage du contenu informationnel, emploi des notes) soit sur le plan stratégique (ex., recours aux paraphrases). L’aisance du discours d’arrivée dépend probablement autant (sinon davantage) de ces aspects que des connaissances des langues de travail.

Les commentaires des sujets identifient effectivement de nombreux facteurs extralinguistiques en tant que « déclencheurs » de problèmes. Le tableau 3 résume la fréquence des difficultés linguistiques et extralinguistiques évoquées dans les quatre premières interviews. En l’occurrence, les difficultés extralinguistiques (notes 41,48 % + problèmes logiques 12,66 % = 54,14 %) sont plus fréquentes que les problèmes linguistiques (lexique 27,94 % + grammaire 3,06 % = 31,00 %).

catégorie Sujet
A B C D tous (%)
recherche d’un mot, (re)reformulation d’une expression 13 15 20 16 64 (27,94 %)
problèmes grammaticaux 0 0 4 3 7 (3,06 %)
problèmes de lecture des notes 16 19 19 41 95 (41,48 %)
doutes d’ordre logique 10 4 1 4 29 (12,66 %)
pas de raison apparente 7 11 13 3 34 (14,85 %)
total toutes catégories 46 49 57 67 229 (100 %)

A titre d’illustration, plusieurs exercices de consécutive ont eu pour objet le film « Titanic ». Étant donné que celui-ci était sorti quelques mois avant l’étude pilote, nous avons pensé qu’il s’agissait d’un thème familier et, en quelque sorte, d’actualité. En réalité, plusieurs sujets n’avaient pas vu le film. Ils connaissaient certes le fait historique du navire « insubmersible », qui a coulé pendant son premier voyage ; mais ils ne disposaient pas d’autres informations sur l’intrigue du film. 56 Cela les a empêchés d’intégrer le contenu du discours source dans un contexte déjà connu. Les études cognitives et psycholinguistiques de la compréhension soulignent effectivement l’importance des connaissances préalables, susceptibles de faciliter l’assimilation des informations. Par exemple, D. Wilson (1994: 41) observe que le contexte, y compris « les connaissances culturelles ou scientifiques, […] toute information partagée ou particulière », joue un rôle crucial dans la compréhension. 57 De même, S. Mannes & M. St. George (1996:115) soulignent « l’importance de cette organisation a priori, ou la capacité d’organiser les pensées au fur et à mesure qu’on les rencontre ». 58 Mannes & St. George citent à ce propos une étude de J.D. Bransford & M.K. Johnson (1972), résumée également par les psychologues cogniticiens S. Roncato & G. Zucco (1993: 63-65) et, dans la littérature sur l’interprétation, par I. Kurz (1996: 81-82). En l’espèce, Bransford & Johnson constatent que la compréhension de commentaires concernant une image est nettement supérieure quand les auditeurs ont vu préalablement celle-ci.

A part l’insuffisance des connaissances du contexte, d’autres facteurs extralinguistiques sont susceptibles de déclencher des hésitations. Sans que la liste soit exhaustive, ils consistent tantôt en des problèmes techniques (par ex., relecture des notes), tantôt en des pertes de concentration (par ex., à cause du stress que peut comporter un exercice d’interprétation).

En ce qui concerne les facteurs linguistiques, il s’agit tantôt de difficultés de compréhension, tantôt de difficultés de formulation. Parfois, bien que le sujet possède les connaissances linguistiques nécessaires, il n’en dispose pas de façon immédiate ; cela l’empêche de s’en servir dans le délai de quelques minutes qu’impose la consécutive. La disponibilité des connaissances linguistiques, dont D. Gile (1995a: 189 et suite) propose une représentation conceptuelle dans son Modèle gravitationnel, est examinée par la suite(voir ch. 5, section 2.1).

Notes
56.

Par exemple, l’observation que: « Titanic est un film politiquement engagé. Il repose […] la question de la lutte des classes. […] à travers les amours de la belle Rose et du bohème Jack, le film s’attache à montrer des personnages qui ne cessent de se rebeller contre un sort social qu’ils n’ont pas choisi. » (Didier Péron, dans Libération, 27 janvier 1998).

57.

“[…] cultural or scientific knowledge, […] any item of shared or idiosyncratic information” (Wilson 1994: 36).

58.

“The importance of this a priori organisation, or the ability to organise thoughts as they are encountered” (Mannes & St. George 1996: 115).