La définition des langues de travail comme « maternelles » (langues A) et « étrangères » (langues B et C), évoquée au chapitre précédent (voir ch. 4, section 2, note 1), est une généralisation qui ne tient pas compte de plusieurs variables.
Premièrement, en ce qui concerne la langue maternelle, il est important de souligner les précisions suivantes:
La description des langues étrangères également devrait tenir compte d’un certain nombre de variables, par exemple:
Sur cette toile de fond, plusieurs études comparent les « variables temporelles » du discours en langue maternelle et étrangère. Une première observation générale, chez A. Deschamps (1980: 262) et M. Raupach (1980: 270), est que les sujets tendent à reproduire le même « profil » des phénomènes d’hésitation en langue étrangère qu’en langue maternelle.
R. Towell, R. Hawkins & N. Bazergui (1996 ; voir ch. 1, section 4.3) observent une maîtrise différente des variables temporelles de la production orale en langue maternelle et étrangère. Chez des sujets ayant une compétence élevée en langue étrangère, l’écart n’est pas nécessairement net pour tous les paramètres considérés ; en particulier, le rapport « phonation/ temps » 61 et la durée moyenne des pauses se rapprochent dans les deux langues. En revanche, la vitesse d’articulation en langue étrangère plafonne à un niveau nettement inférieur à celui des locuteurs natifs.
Une des variables temporelles examinées par R. Towell, R. Hawkins & N. Bazergui (1996 ; voir ch. 1, section 4.3; section 2.1 du présent chapitre) est la longueur moyenne des pauses vides (à laquelle correspond la nomenclature anglaise « average length of pause », abrégée en « ALP »). Celle-ci est plus élevée en français qu’en anglais. Si le discours est « ponctué » par des pauses longues, les auteurs concluent que celles-ci correspondent à des phases de planification du discours. En revanche, des pauses courtes suggèrent que la fluidité du discours relève du caractère automatisé des connaissances procédurales, qui ne nécessitent pas de planification préalable. Ce point de vue, proche de la perspective des études psycholinguistiques des années 60 (voir 2.4), ne s’accorde pas avec les commentaires de P. Pimsleur (1977: 15) sur les pauses longues. Pimsleur associe les pauses longues surtout à des discours prononcés par des hommes politiques à des occasions formelles, voire solennelles: « Le Général De Gaulle a prononcé son dernier discours à la nation française à la vitesse surprenante de 70 mots par minute seulement ».
Dans un discours dont la fonction est essentiellement informationnelle (comme les interventions utilisées aux fins des exercices de consécutive dans notre recherche), il paraît moins approprié de ralentir le débit en utilisant de nombreuses pauses longues. En fait, dans notre expérience, les praticiens et les enseignants estiment généralement qu’il vaut mieux ne pas réaliser une interprétation consécutive plus longue que le discours source. Ce principe est formulé de façon précise par J. Herbert (1980: 67), qui considère que « la durée de l’interprétation consécutive intégrale ne devrait pas dépasser les 3/4 du discours original ». Dans cette optique, les pauses longues ne peuvent guère être considérées comme appropriées que dans la mesure où elles sont présentes dans le discours source.
L. Onnis (1999)étudie la production orale chez des bilingues « tardifs » dont la compétence en langue étrangère est à certains égards pratiquement assimilable à celle d’un locuteur natif. L’analyse d’Onnis est basée sur la production orale en italien, chez huit sujets anglophones qui vivent et enseignent en Italie depuis de nombreuses années (et qui ont une excellente connaissance de l’italien). La production des sujets a été enregistrée aussi bien en anglais qu’en italien, pour permettre une comparaison de la gestion des variables temporelles dans les deux langues. Tous les sujets ont regardé deux séquences cinématographiques, d’à peu près six minutes chacune, dans lesquelles les personnages ne parlent pas. Les séquences étaient des extraits de deux films italiens. Immédiatement après chaque scène, le sujet a été tenu de la commenter, sans préparation préalable. Chaque scène a été commentée par la moitié des sujets en anglais, par l’autre moitié en italien. L’évaluation de plusieurs « variables temporelles » (vitesse du débit, vitesse d’articulation, longueur des segments ininterrompus) a indiqué un degré d’aisance sensiblement inférieur en italien, par rapport à l’anglais. Cela va dans le sens des résultats de Towell, Hawkins & Bazergui (1996), évoqués plus haut.En revanche, Onnis constate que, dans son échantillon, l’ALP ne varie pas de manière significative entre l’italien et l’anglais.
Le rapport « P/T » signifie la proportion de la durée totale du discours qui est représentée par la production linguistique, c’est à dire la durée totale moins le temps occupé par des hésitations.