4. L’effet de la formation et de l’expÉrience professionnelle

Les compétences dont dépend la technique d’interprétation ont déjà été évoquées (voir sections 2 - 2.3 du présent chapitre). En ce qui concerne l’emploi des notes, il ne suffit pas de savoir les prendre de façon rapide et sélective, mais également de les savoir relire en toute aisance. A part une certaine difficulté technique au regard de la notation (nécessité d’utiliser des repères rapides et simples), il faut que l’interprète s’habitue à limiter la quantité des notes, de façon à mieux assimiler le discours. Là, il s’agit essentiellement d’aptitudes pratiques, susceptibles en principe d’évoluer selon les modèles de développement des compétences évoqués dans la section précédente.

L’évolution des aptitudes pratiques de l’interprète fait l’objet de deux études d’I. Kurz (Pinter) (Pinter 1969, Kurz 1996). En particulier, Kurz examine la capacité de parler et d’écouter en même temps. Dans sa thèse de doctorat (Pinter 1969), elle a étudié cette capacité chez quatre groupes de sujets: des interprètes professionnels, des étudiants en fin de cursus d’interprétation, des étudiants en début de cursus d’interprétation, et (comme sujets « de contrôle ») des étudiants qui n’étaient pas inscrits en interprétation. Les sujets étaient tenus de répéter des phrases et de répondre à des questions sous différentes conditions expérimentales. Les exercices consistaient en les activités suivantes: répétition de phrases ; réponse à des questions simples (par ex., « Est-ce que New York est plus grand que Paris ? »), sous forme d’une réponse affirmative/négative et d’une phrase appropriée (« Oui, New York est plus grand que Paris ») ; réponse à des questions « ouvertes » (« pourquoi … ? »). Les sujets écoutaient les stimulus et formulaient les réponses dans la même langue (à savoir, l’allemand). Les exercices comportaient dans certains cas le chevauchement temporel de l’écoute et de la production, à cause de l’intervalle plutôt court entre les items. Autrement dit, il fallait que le sujet, tout en restituant un item, écoute le suivant. Cela a permis d’évaluer la capacité d’écouter des informations et de parler en même temps. En l’espèce, cette capacité a évolué en fonction du niveau de formation et d’expérience – c’est à dire que les résultats étaient sensiblement meilleurs chez les interprètes professionnels et les étudiants en fin de cursus que dans les deux autres groupes.

Par la suite, Kurz (1996: 107-124) a réalisé une étude longitudinale, portant elle aussi sur la capacité d’écouter et de parler en même temps. L’échantillon consistait en un groupe d’étudiants suivant le cursus d’interprétation auprès de l’Institut de Traduction et d’Interprétation de l’Université de Vienne (Institut für Übersetzer- und Dolmetscherausbildung der Universität Wien). Les sujets devaient effectuer les trois exercices décrits au paragraphe précédent, à deux reprises – à savoir, au bout du premier et du deuxième semestre de la formation en interprétation simultanée. La capacité de parler et d’écouter en même temps s’est amélioré de façon nette, surtout dans les questions « ouvertes », qui comportaient, par rapport aux autres exercices, un effort plus important de raisonnement à partir du stimulus initial.

L’interprétation consécutive, tout en ne comportant pas de chevauchement temporel entre l’écoute et la production orale, nécessite que l’écoute et la prise de notes aient lieu en même temps. Étant donné que la capacité d’écouter et de parler en même temps évolue chez l’échantillon de Kurz, nous sommes amenés à penser que les étudiants en interprétation s’habituent également à mieux coordonner l’écoute et la prise de notes au fil du temps.

La présentation du modèle d’Efforts (voir ch. 3, section 2) a mis en exergue l’importance du partage de l’attention entre différents Efforts qui se déroulent en même temps. En consécutive, cette observation est effectivement pertinente surtout à la phase d’écoute, qui comporte la nécessité d’écouter, d’analyser et, en même temps, de prendre des notes. Bien qu’il puisse y avoir une certaine concurrence entre les Efforts en phase de restitution également, l’interprète suit son propre rythme ; à la différence de la phase d’écoute, il peut donc déplacer son attention d’un Effort à l’autre, sans créer de déficit de capacité pour le traitement de la suite. Nous avons vu, cependant, que la tension psychologique associée à la prise de parole en public comporte une certaine difficulté pour les interprètes peu habitués à la consécutive (voir ch. 3, section 2).

Les paragraphes précédents mettent en exergue la probabilité que différentes compétences de l’interprète évoluent au fil des années. La remarque de J. Altman (1994), qui considère que la distinction qualitative entre des interprètes néophytes et professionnels se manifeste surtout à travers l’aisance du débit, a été citée au premier chapitre (voir ch. 1, section 4.1). Dans le cadre général de l’évolution des compétences chez l’interprète, il est donc intéressant d’examiner le développement de l’aisance, telle qu’on la perçoit à travers la gestion des pauses en interprétation consécutive.