5. Conclusion: hypothÈses sur l’aisance d’expression en interprÉtation

Le chapitre 3 a mis en exergue les contraintes de l’interprétation consécutive comme sources potentielles de difficultés pour l’interprète. Les contraintes principales sont: (i) l’obligation d’assimiler le discours source, souvent sur un thème dont l’interprète n’a pas le même niveau de connaissance que l’orateur et l’auditoire ; (ii) l’obligation de fidélité, en ce sens que l’interprète doit restituer le sens du discours original ; (iii) la contrainte temporelle, en ce sens que l’interprète dispose d’un temps limité pour l’assimilation et la restitution du discours.

Sur cette toile de fond, le chapitre 4 a illustré comment ces contraintes sont perçues par l’interprète. Dans l’échantillon considéré, l’introspection des sujets identifie plusieurs facteurs susceptibles de déclencher ou d’accentuer des hésitations. Par exemple, quand le sujet n’arrive pas à reconstruire le fil conducteur du discours à partir des notes, il est probable qu’il n’ait pas bien assimilé le sens de l’original (c’est à dire, ou qu’il ne l’ait pas compris, ou qu’il ne l’ait pas retenu). La gestion des pauses relève de compétences à la fois linguistiques (soit en matière de connaissances soit sur le plan de la disponibilité) et extralinguistiques (par ex., gestion des notes, recours à des stratégies).

Le présent chapitre a examiné entre autres des études empiriques (par ex., Gile 1987, Vik-Tuovinen 1995) sur le perfectionnement des compétences en interprétation (voir sections 4.1.1 et 4.1.2 du présent chapitre).

Dans une certaine mesure, le perfectionnement des compétences peut être étudié par rapport à l’acquis théorique en matière d’acquisition/appropriation des langues ; d’ailleurs, il s’agit de théories d’une portée plutôt générale (voir section 3 du présent chapitre), qui peuvent être considérées également comme pertinentes au perfectionnement des compétences non linguistiques. En particulier, étant donné cet acquis théorique, on peut s’attendre à une automatisation progressive de différentes compétences chez l’interprète, à savoir: technique de prise de notes, techniques de production du discours, et stratégies de contournement d'obstacles.

Étant donné que l’aisance d’expression dépend d’une variété de compétences, il est peu probable qu’elle se perfectionne à court terme. Dans notre recherche, il sera donc intéressant d’examiner la gestion des pauses à différents stades de la courbe d’apprentissage ; cela permettra entre autres de comparer l’évolution de l’aisance non seulement en cours de formation, mais au fil de l’expérience professionnelle également.

Sur cette toile de fond, l’interprète ne possède pas la même maîtrise de l’expression dans des langues A et B (voir section 1 du présent chapitre). Des études empiriques sur différents indices de la production orale (les « variables temporelles ») indiquent davantage de difficultés de production en langue étrangère qu’en langue maternelle. En langue étrangère, les indices de l’aisance évoluent en fonction du niveau de formation et, surtout, en fonction des séjours à l’étranger (Towell, Hawkins & Bazergui 1996 ; voir ch. 1, section 4.3; section 1 du présent chapitre).

Les considérations résumées aux paragraphes précédents permettent de formuler des hypothèses sur l’aisance de l’expression chez les interprètes, en fonction aussi bien du niveau de formation/expérience que de la langue d’expression.

En particulier, si on examine l’aisance à travers la durée des pauses par rapport à la durée du discours, on peut formuler les hypothèses suivantes:

Outre ces hypothèses sur la durée des pauses aux différents niveaux de formation/expérience et en A vs. B, la perception « subjective » des déclencheurs d’hésitation fait elle aussi l’objet de deux hypothèses, à savoir:

Ces hypothèses seront examinées dans l’étude qui est présentée dans la deuxième partie de la thèse.