3.4 Évaluation de la troisiÈme hypothÈse: l’Évolution de la diffÉrence entre les pauses en langue A et en langue B

Selon notre troisième hypothèse (voir ch. 5, section 5), la différence entre les pauses en langue B (anglais) et en langue A (italien) est moins importante chez les interprètes chevronnés que chez les étudiants et, chez ces derniers, moins importante chez les étudiants avancés que chez les étudiants débutants.

Les résultats s’accordent en partie avec l’hypothèse . L’écart entre les durées des pauses dans les deux langues varie, selon qu’on considère les pauses pleines et vides ensemble ou séparément (voir section 3.1 du présent chapitre). D’une part, il devient progressivement plus faible, au fil des années, si les pauses pleines et vides sont considérées ensemble (voir plus haut, section 3.1). D’autre part, en ce qui concerne la durée des seules pauses pleines, l’écart entre les deux langues est plus faible chez les étudiants débutants que chez les autres sujets. Dans la mesure où les pauses pleines peuvent être considérées comme des hésitations (Duez 1982 ; voir ch. 2, section 2), cette constatation ne paraît pas conforme aux attentes: il n’y a pas de raison, a priori, que le degré d’aisance en A et en B s’écarte davantage chez les interprètes professionnels que chez les étudiants débutants.

L’examen des pauses longues permet cependant de nuancer ces observations sur les durées différentes des pauses pleines dans les deux langues d’expression. D’une part, la durée moyenne par minute des pauses pleines chez les interprètes professionnels est significativement plus grande en anglais qu’en italien (voir section 3.1 du présent chapitre: tableau 18). D’autre part, le pourcentage moyen de pauses pleines longues, en anglais et en italien, ne diffère de façon significative que chez les étudiants (surtout débutants), non chez les interprètes professionnels (voir section 3.2 du présent chapitre: tableau 19). D’ailleurs, nous avons déjà vu que le pourcentage moyen de pauses pleines longues diminue progressivement au fil des années: il est plus élevé chez les étudiants débutants que chez les étudiants avancés, et plus élevé chez ces derniers que chez les interprètes professionnels (voir section 1.2 du présent chapitre: tableau 15). Cela donne à penser que les interprètes professionnels font nettement plus de pauses pleines brèves en anglais qu’en italien.

Dans la section 3.2 du présent chapitre, nous avons proposé des explications de l’écart plus ou moins important entre les pourcentages de pauses longues en anglais et en italien. Ainsi, quand la proportion des pauses pleines longues est significativement plus élevée en anglais (comme chez les étudiants), cela tient probablement aux difficultés d’expression en B. Le manque de différence significative, chez les interprètes chevronnés, tient probablement à leur capacité d’utiliser des stratégies permettant de contourner les difficultés d’expression en B.

En résumé, la disparité entre les deux langues d’expression suit des tendances opposées, selon qu’on considère toutes les pauses ou les seules pauses pleines. Là où les durées par minute des premières se rapprochent progressivement dans les deux langues, l’écart entre l’anglais et l’italien s’accentue au fil des années si on ne considère que les pauses pleines. En revanche, le pourcentage de pauses pleines longues (> 2 sec.) ne diffère de façon significative, en anglais et en italien, que chez les étudiants.